OPINION

Combattre le djihadisme en Afrique de l’Ouest

Il s’agissait d’agir. En quelques semaines, une trentaine de localités occupées par le groupe armé Boko Haram ont été reprises par les forces tchadiennes dans le nord-est du Nigeria.

L’offensive a été fulgurante, sans être surprenante pour autant. En effet, Boko Haram et les autres groupes djihadistes qui sèment la désolation en Afrique de l’Ouest sont forts de la faiblesse des États de la région.

Depuis leur apparition en Algérie il y a 20 ans, les mouvements djihadistes ont surgi année après année dans une douzaine de pays du Maghreb et de la bande sahélienne s’étirant de la Mauritanie au Soudan. Ils s’activent maintenant dans certains pays d’Afrique centrale, comme au Cameroun et en République centrafricaine. Cette progression, tout aussi spectaculaire soit-elle, repose avant tout sur des facteurs locaux propres à chaque pays et sur des actions d’éclat destinées à frapper les esprits plutôt que sur une stratégie d’ensemble bien affinée et coordonnée.

Ainsi, en Algérie, l’annulation des élections de 1992 où le Front islamique du salut était en passe de l’emporter a discrédité l’État aux yeux d’une partie de la population et favorisé les mouvements djihadistes.

En Libye, au Mali, au Niger, au Nigeria, au Soudan et en République centrafricaine, l’autoritarisme des régimes, la corruption des élites au pouvoir, la persécution des minorités, le chômage massif des jeunes, la circulation des armes, l’incapacité de l’État à affirmer sa présence ou à imposer son autorité et les trafics en tous genres ont fragilisé des pays entiers et permis à des groupes idéologiquement disciplinés de promouvoir une autre option, la plupart du temps violente et parfois mafieuse, et de contrôler des territoires vastes et souvent difficiles d’accès.

À première vue, les mouvements djihadistes affichent une grande puissance et démontrent une parfaite maîtrise tant des opérations militaires et politiques que du terrain. Ainsi, ils frappent au moment de leur choix, massacrent des centaines de villageois, assassinent froidement des étrangers, capturent des villes et des villages, tissent des alliances entre eux ou avec Al-Qaïda et le groupe armé État islamique.

Toutes ces actions sont bien réelles et effraient d’autant plus que les médias les amplifient et que les gouvernements semblent incapables de les prévenir.

DES MOUVEMENTS FRAGILES

Et pourtant, cette belle assurance cache une autre réalité. Les mouvements djihadistes sont fragiles et, à eux seuls, ne peuvent espérer prendre le pouvoir sans le soutien d’autres forces politiques ou sociales. L’exemple des événements au Mali en 2012-2013 le démontre. C’est bien à la faveur d’alliances de circonstance avec des mouvements politiques du Nord du pays, région délaissée par le gouvernement central depuis l’indépendance, et en profitant des divisions au sein du gouvernement que quelques centaines de djihadistes ont mis en danger le pouvoir à Bamako.

Au Nigeria, Boko Haram, avec des moyens dérisoires, profite depuis 2009 de l’absence réelle ou voulue de l’État et d’un mécontentement certain des populations du Nord pour terroriser des régions entières. L’intervention déterminée et fulgurante de milliers de soldats tchadiens depuis deux semaines a semé la panique dans leurs rangs.

Combattre militairement les mouvements djihadistes est une nécessité incontournable. D’où l’importance de soutenir les forces de paix de l’ONU au Mali et en République centrafricaine et d’appuyer la création d’une force d’intervention contre Boko Haram.

L’option militaire doit toutefois s’accompagner d’une stratégie politique reposant sur quatre piliers : favoriser le règlement négocié des différends, renforcer les institutions étatiques et de la société civile, créer les conditions du développement économique et social et contrer l’islam radical en asséchant ses sources de financement et en favorisant le dialogue religieux.

Dans certains cas, comme au Mali, cette double action militaire et politique est déjà mise en œuvre. Elle mettra du temps pour donner des résultats qui, à défaut d’éliminer le djihadisme, pourront en réduire considérablement l’attrait.

*L’auteur publie bientôt avec deux autres chercheurs un ouvrage sur l’échec de la consolidation de la paix en République centrafricaine.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.