Chronique

Un mariage de raison

Ce n’est un secret pour personne : entre Valérie Plante et le milieu des affaires du Grand Montréal, c’est un mariage de raison. Pour dire les choses simplement, ces deux-là ne se sont pas choisis… Mais bon, ce type d’union peut très bien fonctionner. Il suffit de beaucoup de volonté.

Cette volonté était palpable lundi lors du 14e Forum stratégique sur les grands projets métropolitains, organisé par la Chambre de commerce. Cet événement annuel est le rendez-vous incontournable des gens d’affaires qui veulent découvrir les chantiers qui poussent et ceux qui nourrissent le désir des promoteurs.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a beaucoup de mouvement à prévoir dans la métropole. En ouverture, Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce, a précisé que 154 projets immobiliers de plus de 20 millions de dollars sont en cours de réalisation. Les superlatifs, on s’en doute, ont fusé de toutes parts durant le forum.

Il a été question du projet 1111 Atwater et de ses appartements archi-luxueux dont le prix oscillera entre 13 et 15 millions de dollars. On a aussi brillamment résumé le projet Nouveau Centre qui offre un sérieux polissage au Reine Elizabeth, à la Place Ville Marie et au Centre Eaton, et qui a aussi fait surgir de terre la Maison Manuvie.

Guy Breton, recteur de l’Université de Montréal, a présenté avec beaucoup de fierté le campus MIL, qui sera inauguré à l’automne. Parlant du monde de l’éducation, Michel Patry, directeur de HEC Montréal, a dévoilé l’allure du prochain pavillon de l’établissement, le quatrième, qui sera érigé au centre-ville.

Il a aussi été question du complexe Victoria sur le parc, du projet Royalmount, ainsi que des espoirs de donner un nouveau souffle au District Central, ce « nouveau quartier des affaires » situé au nord de la 40 et qui englobe les secteurs Saint-Laurent, Chabanel, de l’Acadie et du Marché central. Bref, après seulement quelques présentations faites sur des musiques d’Hollywood, il y avait de quoi avoir le tournis.

Si vous pensiez que la fin des grands chantiers approche à Montréal, attachez bien votre tuque. Il faudra se préparer à vivre un énorme chambardement dans l’est de la ville. Le projet du secteur des Faubourgs a pris beaucoup de place lors du forum de lundi. Que fera-t-on du désert de béton et d’asphalte qui entoure la tour de Radio-Canada ? Comment allons-nous exploiter l’édifice Molson et ses environs ? Quel lien créera-t-on avec les berges du Saint-Laurent à cette hauteur ?

On parle de l’Est, empruntons la rue Notre-Dame et allons plus loin. La décontamination de nombreux terrains (le gouvernement a annoncé une aide financière de 100 millions de dollars pour cette opération) permet de rêver en couleurs. Si l’on en croit les promoteurs, des projets immobiliers devraient pousser comme des champignons au cours des prochaines années dans ce secteur.

Ce forum n’aurait été qu’un feu d’artifice de gros chiffres, de « vues spectaculaires » et de « piscine sur le toit » si les organisateurs n’avaient pas fait une place importante à d’autres éléments qui sont devenus cruciaux pour le bon développement d’une ville.

Signe des temps, on avait eu la bonne idée d’inclure des sujets comme le verdissement de la ville, la construction de logements pour étudiants, la protection du patrimoine et les bienfaits de l’économie sociale.

Mais n’allez pas croire que tout s’est déroulé dans l’amour et l’allégresse. À quelques reprises, des invités ont profité de leur tribune pour lancer des messages à l’administration Plante. Certains ont rappelé les surcoûts rattachés aux nouvelles contributions. Outre la taxe du Réseau express métropolitain (REM) et la contribution versée aux parcs, il y a le fameux modèle 20/20/20 (proportion de logements sociaux, abordables et familiaux que souhaite exiger l’administration Plante dans les projets immobiliers d’envergure) qui devrait entrer en vigueur en 2021.

Laurence Vincent, coprésidente de Prével, et Martin Galarneau, associé chez TGTA, ne se sont pas gênés pour dire que ce projet devait être repensé et qu’il allait étouffer les promoteurs. Visiblement, cette idée ne passe pas auprès d’eux. Elle est le coup fatal, la goutte qui fait déborder le vase. J’y reviendrai dans une autre chronique.

Valérie Plante, qui n’a pu assister à l’ensemble des présentations, est arrivée à la toute fin pour offrir une allocution de clôture. Après avoir remercié le milieu des affaires et de l’immobilier pour l’incroyable boum que vit Montréal, elle a abordé les thèmes qui lui tiennent à cœur : la mixité, les parcs et le transport collectif…

Ce n’est pas tellement ce que les participants voulaient entendre. La mairesse s’est reprise en affirmant qu’il ne fallait pas avoir peur de la densification. À ce moment précis, j’ai senti qu’elle était sur la même longueur d’onde que son auditoire. Valérie Plante a ensuite glissé sur des projets d’envergure qu’elle souhaite voir prendre forme. L’édifice Molson, le Silo no 5, le développement de l’Est…

Au moment de l’arrivée de Valérie Plante et de son équipe, j’ai souvent entendu des voix du monde municipal et du milieu des affaires dire : « Dieu qu’ils pensent petit ! »

Le grand défi de Valérie Plante, au cours des derniers mois, a été de combiner sa vision aux nombreuses autres qui se dressent devant elle, y compris celle des gens d’affaires.

Cette valse-hésitation entre un milieu qui a longtemps eu les coudées franches pour agir et une mairesse nettement plus à gauche et plus écolo que ses prédécesseurs s’est fait sentir lundi. Difficile de dire si Valérie Plante et son équipe pensent petit. Dix-huit mois après leur arrivée, j’ai parfois du mal à comprendre ce qu’ils pensent tout court.

Oui, il y a une volonté de travailler ensemble, mais tout cela me semble bien fragile. Lors de son allocution, la mairesse a abordé la question de son projet 20/20/20, qu’elle appelle habilement « projet d’inclusion » : « J’y crois fondamentalement et je vais le faire avec vous ! » Cela n’a pas eu l’air de rassurer les participants.

Une chicane de couple est à prévoir, c’est sûr et certain. Mais c’est dans sa capacité à passer à travers les conflits que l’on juge la force d’un mariage. Qu’il soit de raison ou de passion.

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