Équité salariale  Anne-Marie Hubert

« J’espère que ma fille sera moins naïve »

« J’espère que ma fille sera moins naïve que j’ai pu l’être, qu’elle sera plus combative. Parce que moi, je suis même déjà allée voir un patron en lui disant qu’il avait probablement fait une erreur, qu’il me payait trop. Il m’a dit que ça, c’était la première fois qu’il entendait ça ! »

C’est Anne-Marie Hubert qui raconte l’anecdote, celle qui, en 2016, est devenue la première femme à diriger le bureau montréalais de la firme d’experts-comptables EY (longtemps connu sous le nom Ernst & Young), une première depuis 1922.

« En début de carrière, dit-elle, je ne remarquais pas que certains de mes collègues masculins allaient voir cinq fois le patron pour lui réclamer une promotion. Moi, je restais de mon côté, en pensant que la promotion viendrait d’elle-même [vu ses résultats]. »

Erreur. « Mes supérieurs interprétaient mon silence comme un manque d’intérêt de ma part. »

Comment a-t-elle néanmoins atteint les sommets ? « Par mes résultats. J’ai toujours livré », lance-t-elle.

Aussi, dans sa vie, il y a eu une patronne qui a compté tout particulièrement : celle de son mari.

« Il a longtemps travaillé pour Beverley McLachlin [qui, jusqu’en décembre 2017, était juge en chef de la Cour suprême]. Chaque fois qu’il devait travailler le soir, elle lui demandait : “Ça ira pour Anne-Marie ?” Jamais elle n’a présumé, d’emblée, que c’était à moi de m’organiser et de m’occuper des enfants. »

À sa firme, chez EY, Mme Hubert signale qu’au début des années 2000, on a pris conscience de certains indicateurs préoccupants. Le taux de rétention des femmes a été jugé trop bas et il y avait des écarts trop importants entre les hommes et les femmes qui accédaient aux plus hauts postes.

« En début de carrière, quand le travail est plus “technique”, tout allait bien pour les femmes, elles affichaient de bonnes performances. Idem quand venait le temps pour elles de gérer du personnel. C’est ensuite, quand il s’agissait de développement des affaires, qu’elles perdaient des points. »

Rien à voir avec des compétences moindres des femmes à ce chapitre. À preuve, « aujourd’hui, [la firme] maintient un taux de 40 % d’associés qui sont des femmes », dit Mme Hubert.

Ce qui a été fait ? Différentes choses. On a précisé les critères d’évaluation, en s’assurant qu’ils soient « objectifs et aucunement biaisés » ; on a pris conscience du fait que les femmes, quand elles étaient appelées à s’autoévaluer, se sous-estimaient souvent.

« On a aussi changé un peu notre vocabulaire par rapport à “la vente”, un concept avec lequel les femmes n’étaient pas à l’aise. »

N’empêche, Mme Hubert est consciente que ça ne sera jamais tout à fait réglé. « On se surveille », dit-elle, consciente que sa firme, comme les autres, « n’est pas à l’abri des biais systémiques ».

Mais les écoles d’administration n’accordent-elles pas plus de diplômes à des femmes en comptabilité ? Les femmes ne décrochent-elles pas des salaires de plus en plus hauts et d’importantes promotions ? La rareté de la main-d’œuvre – et la nécessité d’attirer à tout prix les talents, hommes ou femmes – ne règle-t-elle pas le problème ? « Non. Quand j’ai été reçue comptable, en 1985, déjà, les femmes étaient majoritaires à décrocher le titre. »

Majoritaires dès 1985, mais à l’époque, encore très loin du sommet.

Mme Hubert constate toutefois que les changements dans la façon de brasser des affaires ont enlevé des obstacles.

« Déjà, personnellement, quand j’étais plus jeune, si j’avais dit à mon mari de s’occuper de nos trois petits parce que j’allais jouer au golf pour le travail, ça aurait plus ou moins bien passé. De toute manière, aujourd’hui, les choses ont changé. Le golf, les matchs de hockey dans une loge… Les femmes, comme les hommes, n’ont plus le temps pour ça. »

Avec la technologie, il y a de toute façon tellement de manières de démontrer à ses clients qu’on pense à eux, tout le temps. « Il suffit parfois de leur envoyer un courriel en leur soulignant un texte, là, en page 3, qui serait intéressant pour eux. »

« L’écart en défaveur des femmes est plus élevé dans le secteur privé (-3,47 $/h ; un ratio femmes/hommes de 88 %) que dans le secteur public (-2,64 $/h ; ratio femmes/hommes de 92,6 %). Dans ce dernier secteur, l’écart le plus faible est dans l’administration québécoise (une différence de 0,71 $/h ; un ratio femmes/hommes de 97,8 %). »

— Cap sur le travail et la rémunération, Institut de la statistique, mars 2017

Les pistes de solutions de….

Anne-Marie Hubert

Associée, directrice chez EY

À la base, l’entreprise doit chercher assez tôt à développer un même nombre de leaders de sexe féminin que masculin. D’un point de vue social, il faut faire attention aux biais systémiques. « Les femmes qui prennent un congé de maternité d’un an, à la maison, risquent de prendre l’habitude de s’occuper de toute la maisonnée, des biais qui perdurent bien au-delà du congé de maternité », note-t-elle.

Françoise Bertrand

Ex-présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec

« Les grandes entreprises publiques sont tenues, dans leurs circulaires, de préciser le salaire de leurs hauts dirigeants. Quand on sollicite un poste, on peut donc facilement savoir le salaire de la personne qui nous a précédé. Si ce n’est pas le cas dans la moyenne entreprise, les femmes ont néanmoins intérêt à trouver une entreprise publique d’une taille comparable et voir combien gagne la personne qui y a un poste équivalent à celui qu’elle convoite. »

Brigitte Simard

Associée directeur chez Russell Reynolds, une firme de chasseur de têtes

« Pour les femmes, parler de salaire, c’est un gros tabou. Alors le plus souvent, elles n’en parlent pas ou, dans leurs rencontres avec un employeur, c’est le dernier élément sur leur liste. Et souvent, elles acceptent la première offre qui leur est faite. Il faut au contraire savoir exactement combien l’on gagne – en salaire, en bonis annuels et en bonis à long terme – et demander à l’employeur quelle est l’échelle salariale pour le poste que l’on convoite. Les femmes sauront ainsi si elles se situent dans la marge de négociation. Elles doivent se rappeler qu’il n’est pas mal vu par un employeur de parler argent et que l’employeur préfère souvent mettre un peu plus d’argent pour embaucher la bonne personne. »

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