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Le son des criquets

Bien qu’il fasse plus de 30 degrés (encore !) au moment d’écrire ces lignes, je dois avouer que le sujet dont il sera question ici me donne la chair de poule. Au propre comme au figuré.

Les changements climatiques, dans tout ce qui les compose, m’inquiètent. Beaucoup même. À moins d’avoir joué à l’autruche tout l’été, nul ne peut avoir raté les épisodes caniculaires à Montréal comme partout dans le monde, la mer rouge de Miami, les algues du Mexique, les milliers de poissons morts dans le Rhin, les incendies de la Colombie-Britannique, de la Californie, de la Grèce, du Portugal et j’en passe, et les nombreux morts y étant liés.

Le 1er août dernier, nous avions épuisé toutes nos ressources planétaires pour l’année en cours, utilisant plus d’arbres, de poissons, d’eau et de sols fertiles que la terre peut nous fournir. Nous vivons donc à crédit. Maintenant, demain, le mois prochain.

La saison estivale 2018 aura eu son lot d’événements catastrophes liés au réchauffement climatique.

Certains commencent à se demander si cette époque un peu cataclysmique de réchauffement que pressentaient certains scientifiques il y a déjà 30 ans n’est pas en train de cogner à nos portes avec des décennies d’avance.

L’été tire à sa fin. Ou en tout cas, le devrait. Mais c’est vrai que depuis quelques années, l’été s’étire. Je ne me souviens plus du nombre de fois où mes enfants, alors que je les poussais à aller jouer dehors par nos belles journées de juillet, rentraient 10 minutes plus tard, rouges comme mes tomates, poussant un grand « haaaaaaaa ! » au contact de l’air climatisé. Je leur expliquais alors que de telles températures prolongées n’étaient pas normales. Et on sortait les jeux de société ou on regardait un film. Puis je regardais dehors ; il n’y avait que très peu de vie sauf dans les quelques piscines de mon voisinage.

Cet été, j’ai visité les Maritimes et je me suis rendue jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine. Partout j’entendais la même chose : « Il n’y a jamais personne qui se baigne sur cette plage, c’est trop froid, mais cette année, tout le monde se baigne. On n’a jamais vu ça. » Ou encore, à l’inverse : « La plage Parlee est fermée à la baignade depuis un bout, il y a trop d’un genre de bactéries, le réchauffement des eaux qui causerait ça. » Puis : « Ici, aux Îles, on n’a jamais eu besoin d’air climatisé, on a du vent, des tonnes de vent, mais là on dort mal, j’y pense pour l’an prochain. »

Lundi dernier, 200 personnalités artistiques et scientifiques provenant des quatre coins du monde lançaient un appel d’urgence dans une tribune publiée par Le Monde. Ce cri, faisant écho à la démission du ministre de l’Environnement français Nicolas Hulot la semaine précédente, cible une action politique « ferme et immédiate » des gouvernements face aux changements climatiques.

Outre les scientifiques ou les militants environnementaux qui tentent tant bien que mal depuis des décennies de passer leur message, ceux qui vivent encore directement en lien avec le territoire, pratiquant la chasse, la pêche, la cueillette, le piégeage ou encore les aînés, témoignent déjà depuis longtemps de changements concrets au centre de leur univers.

Au début des années 2000, les Inuit plus âgés nous disaient déjà que le soleil ne se levait plus au même endroit, que la mer mangeait la terre. Mais qui allait bien écouter des gens au nord du 55e parallèle ? En 2018, à Pointe-Parent sur la Côte-Nord, à côté de la communauté de Nutashkuan, plusieurs propriétaires de chalets ou de maisons devront déplacer leurs habitations, menacées par une érosion causée par le rehaussement des eaux. 

Déjà, depuis les années 90, la perchaude a pris la place de la truite dans la rivière Saint-Charles près de Wendake. Les pêcheurs de truites se sont alors déplacés plus au nord, dans la réserve faunique des Laurentides, pour pêcher. Ils certifient que, puisque le niveau d’eau a baissé comme en témoigne l’apparition de nouvelles pierres autrefois noyées dans la rivière, les truites se tiennent au fond de l’eau et elles se font beaucoup plus petites et plus rares.

Et qu’en est-il de ce chasseur cri qui témoignait récemment que l’accès à son camp de chasse était devenu une tâche très ardue puisque la route qui y mène, toujours solide il y a à peine quelques années, se ramollit jusqu’à en devenir une bouette impraticable, sans doute causée par la fonte du pergélisol ? Il ne s’y rend plus aussi souvent. Beaucoup ont déjà abandonné. Quelques-uns se battent, à bout de souffle.

C’est tout un mode de vie qui est en danger. Pas seulement celui des autochtones, mais celui de toute l’humanité. Une coupure irréversible de siècles de traditions, de transmission et de connaissances qui saigne déjà.

La déconnexion de l’humain avec la terre est sans doute le plus grand obstacle à la mise en place de solutions fermes et immédiates pour contrer le réchauffement climatique et ses indéniables conséquences. Le chef sioux Sitting Bull disait déjà au XIXe siècle : « Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors ils réaliseront que l’argent ne se mange pas. » Et toutes ces causes si justes pour lesquelles nous nous battons ne serviront à rien si nous n’avons plus de lieu où vivre ou si nous ne savons plus comment vivre.

Cette cause devrait être la première sur le radar des partis politiques. J’entends pourtant le son des criquets…

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