Chronique

Le ruisseau

C’est vrai qu’ils sont nombreux, qu’on les entend partout, qu’ils ont tendance à se tenir ensemble. C’est vrai aussi qu’ils s’émerveillent de tout et qu’ils sont parfois plus gentils que nous, ce qui n’est pas peu dire.

Je vous parle des Français à Montréal. Ils seraient entre 120 000 et 150 000, paraît-il. Certains jours, en marchant dans les rues du Plateau, j’ai la nette certitude qu’ils sont 10 millions.

C’est devenu un lieu commun que de parler de la morosité qui règne en France depuis quelques années. C’est pourquoi, en peu de temps, les Français ont créé le groupe d’immigrés le plus important à Montréal. Ce bassin d’expatriés devance maintenant ceux de Londres et de Bruxelles.

Mathieu Lalancette a fait un portrait de cette nouvelle réalité montréalaise en réalisant un documentaire en trois parties intitulé French PQ, que l’on peut voir à compter d’aujourd’hui sur le site web de TV5.

Si les deux premiers épisodes ont tendance à être un peu trop idylliques à mon goût et à donner la parole aux mêmes personnes (Luc Ferrandez, le maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, Catherine Feuillet, la consule générale de France à Montréal, Kathleen Weil, la ministre de la Justice au Québec, ainsi que les deux propriétaires de Mamie Clafoutis), le troisième volet fait place à une réalité dont on parle peu.

Beaucoup de Français qui débarquent ici ont la naïveté (nourrie par les publicités et le discours des représentants du Québec qui vont les recruter en France) de croire que tout sera hyper facile ici. Or, si on peut trouver un emploi facilement dans certains domaines, ce n’est pas le cas pour tout le monde. À cela s’ajoute l’énergie à déployer pour l’obtention des permis de séjour ou de travail et le combat à mener pour une reconnaissance de ses compétences professionnelles.

Quelqu’un dit à un moment donné dans le film qu’on a trop tendance à croire que la langue française nous rapproche et scellera tout. Mais dans les faits, on se rend compte que les cultures française et québécoise sont diamétralement opposées. Nous avons finalement peu de choses en commun.

L’intégration dépend de l’ouverture d’esprit de ceux qui arrivent ici et de leur envie de recommencer à zéro. Puisqu’il s’agit de cela : avoir le courage de recommencer à zéro.

Il est dit dans ce film que ça prend deux ou trois ans avant de devenir un « bon Québécois ». Encore faut-il s’approcher des Québécois. Beaucoup reprochent aux Français de rester groupés entre eux. Il est d’ailleurs question dans le film des 5 à 8 de l’Union française, où l’on tente de recréer l’ambiance d’un bistro français avec le sempiternel trio vin-baguette-rosette. Certains Français eux-mêmes prétendent que cela n’est pas une bonne idée.

Et nous, les Québécois, que faisons-nous pour intégrer les Français dans notre culture ? Est-ce que nous les invitons à nos partys ?, se demande un jeune Québécois interviewé. Un autre Français raconte que tout se passe très bien au travail, mais dès qu’arrive le temps des sorties et des activités sociales, il n’existe plus pour ses collègues.

Les clichés sur les Français sont persistants. Râleurs, prétentieux, bavards… Et c’est vrai qu’on a tendance à casser du sucre sur leur dos en se disant qu’ils sont capables d’en prendre. « Les Français sont faits forts », pensons-nous.

On se rend compte qu’un immigré français n’est pas plus fort qu’un autre. Il est aussi fragile et vulnérable que tous les autres immigrés. Les Français arrivent ici impressionnés, anxieux et tristes d’avoir laissé derrière eux leurs familles, leurs amis, leur vie.

Ils arrivent ici avec une envie folle de se faire aimer. Une jeune fille dans le film dit à quel point les Français font tout pour plaire aux Québécois. Ils imitent notre gentillesse légendaire, notre humour pas toujours facile à décoder et notre côté familier. On apprend qu’ils sont finalement très heureux de quitter les sacro-saintes étiquettes et le protocole lourd qu’ils avaient à subir en France.

On devrait se rappeler plus souvent pourquoi les Français viennent ici. Je peux vous citer tout de suite quelques exemples : la montée en flèche du Front national, les nombreuses manifestations contre le mariage pour tous, l’absence de perspectives pour les jeunes, le coût de la vie, etc.

Il est à souhaiter que le nouveau président, Emmanuel Macron, saura imprimer à la France le nouveau départ dont elle a tellement besoin. Mais en attendant, il y a entre 120 000 et 150 000 Français à Montréal qui ont déjà décidé de se créer une nouvelle vie chez nous, avec nous.

Peut-être avez-vous été, plus jeune, le téméraire du groupe qui enjambait le ruisseau avant tous les autres. Cet aventureux n’était pas peu fier, une fois de l’autre côté, d’aider les autres à passer.

On a sauté le ruisseau il y a plus de quatre siècles. Aidons les cousins à l’enjamber. C’est la moindre des choses.

Bon 14 Juillet, chers Français !

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