Chronique

Le train, la Caisse et les dépassements

4 décembre 2022. La première ministre du Québec, Diane Lemieux, a inauguré en grande pompe le train électrique REM, hier. Elle était accompagnée de Louis Vachon, PDG de la Caisse de dépôt et placement, qui est maître d’œuvre du projet.

Malgré l’ambiance festive, les journalistes ont bombardé de questions les deux protagonistes. D’emblée, le duo a admis que le projet a finalement coûté 7,9 milliards, soit 44 % de plus que les 5,5 milliards prévus en 2016. De plus, les premiers trains ont été mis en service avec deux ans de retard sur l’échéancier d’origine (fin 2020).

La Caisse et le gouvernement se partageront l’essentiel de la facture additionnelle, de 2,4 milliards. Dit autrement, ce sont les contribuables du Québec et les futurs retraités qui écopent.

Parmi les raisons motivant les dépassements, il y a la mauvaise estimation des coûts de construction, les imprévus technologiques, les heures supplémentaires payées aux employés pour accélérer le chantier et l’ajout de trois stations non prévues à l’origine (Édouard-Montpetit, McGill et Chevrier).

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Ce scénario fictif, personne ne le souhaite au Québec. La Caisse soutient qu’elle a bien fait son travail, qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter et qu’elle reproduira le succès du train Canada Line, à Vancouver.

Mais quelques jours après l’annonce du dépassement de 444 millions du projet de cimenterie McInnis, en Gaspésie, force est de constater que les paris jouent contre la Caisse.

De fait, 9 mégaprojets sur 10 dans le monde ont fait face à des dépassements de coûts, selon une analyse du professeur Bent Flyvbjerg, une sommité en la matière, de l’Université Oxford, au Royaume-Uni (1). Et dans le secteur du rail, les dépassements de coûts moyens atteignent 45 %, tandis que la surestimation du nombre d’utilisateurs excède 50 % !

Bien sûr, quelques rares projets sont réalisés en respectant les budgets prévus, comme le TGV Paris-Lyon, mais ils sont une exception (voir tableau). Même le train Canada Line, que la Caisse donne en exemple, a finalement coûté 29 % de plus que le budget de départ, soit une facture globale de 2,0 milliards de dollars.

Ces dépassements ont des conséquences bien réelles. Elles transforment des projets rentables en désastres économiques. Par exemple, le tunnel sous la Manche n’a pas aidé l’économie britannique, malgré l’argent dépensé et les emplois créés ; il lui a plutôt nui.

Bent Flyvbjerg estime que le fameux tunnel a retranché l’équivalent de 17,8 milliards US à l’économie britannique, compte tenu des dépassements de coûts de construction de 80 % et de la surestimation des revenus de 50 %. Constat semblable pour les Jeux olympiques d’Athènes de 2004 : les dépassements sont parmi les éléments qui ont coulé la Grèce durant les années suivantes.

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène des dépassements de coûts. En janvier, justement, une conférence à l’Université de Toronto, avec le professeur Matti Siemiatycki, notamment, brossait un portrait des principales raisons (2).

D’abord, les projections des promoteurs sont souvent trop optimistes et les projets, pas suffisamment bien préparés. Les politiciens peuvent avoir tendance à sous-estimer les coûts pour vendre leur projet à la population, tandis que les entrepreneurs peuvent soumissionner trop bas pour obtenir le contrat, quitte à exiger des frais d’extras par la suite.

Les chercheurs font également état de changements dans l’ampleur du projet et de mauvaise gestion des chantiers.

Un autre élément important est le gonflement rapide des frais de financement d’un projet qui prend du retard. Pour les projets financés par endettement, Bent Flyvbjerg parle d’une « recette pour le désastre ».

Malgré tout, il appert que la gestion de mégaprojets montre certains changements encourageants. D’abord, le secteur privé est de plus en plus présent dans les projets, incluant les fonds de retraite, comme la Caisse de dépôt. Bien que le privé ne soit pas un gage de succès, avertit Flyvbjerg, il permet de remettre en question les projections souvent trop optimistes des promoteurs.

L’accent qui a été mis sur la bonne gouvernance des organisations ces dernières années, au public comme au privé, est également de bon augure. Enfin, « la recherche sur les façons de réformer la gestion des mégaprojets commence à avoir des effets concrets dans la pratique », écrit Flyvbjerg.

CESSER DE VOIR LA VIE EN ROSE

Différents éléments sont primordiaux pour améliorer la situation, selon les chercheurs. D’abord, les promoteurs publics et privés doivent changer leur culture de prévisions des coûts et des revenus et devenir allergiques au surcroît d’optimisme.

Ensuite, les agents économiques doivent investir dans la formation de leurs employés en gestion de projets. Ils doivent également mieux utiliser les données des projets passés pour estimer les coûts des projets.

Enfin, les chercheurs suggèrent de tirer parti des partenariats public-privé, tout en étant conscient que le transfert du risque au privé s’accompagne d’une facture appréciable.

Il reste à espérer que le gouvernement et la Caisse ont bien intégré ces constats au projet de train. Et en particulier, que les projections de coûts et d’achalandage ne sont pas trop optimistes.

Rappelons que la Caisse prévoit faire passer de 85 000 à 150 000 (+ 76 %) le nombre quotidien d’usagers dès l’année suivant l’entrée en service du train, en 2021, grâce à une fréquence de trains six fois plus grande qu’actuellement.

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