Chronique

La mince ligne bleue

La course à la direction du Parti québécois se jouera-t-elle sur la question identitaire ?

En fait, je reformule : Jean-François Lisée pourrait-il doubler Alexandre Cloutier dans la dernière ligne droite de ce marathon en jouant sur les sentiments négatifs de l’électorat envers les immigrants ?

De toute évidence, M. Lisée y croit, lui qui marche depuis des semaines sur la mince ligne rouge des débats identitaires. La mince ligne bleue, devrais-je dire, celle qui sépare le PQ de l’approche souverainiste inclusive du PQ du repli nationaliste fermé et défensif.

Le député de Rosemont multiplie les déclarations sur le trop grand nombre d’immigrants, sur l’interdiction du burkini et de la burqa dans l’espace public (j’imagine, en effet, qu’il ne songe pas en plus à envoyer la police du voile dans les chaumières !) et même sur les risques de ces accoutrements, qui peuvent servir à cacher une bombe ou un AK-47.

M. Lisée a aussi déclaré que « nous savons avec certitude que des gens recrutent chez nous et ils veulent tuer des Québécois », en parlant des extrémistes musulmans.

« Si je suis premier ministre, mon premier devoir, c’est d’assurer la sécurité des Québécois », a-t-il ajouté pour justifier cette dernière déclaration.

Le devoir d’un aspirant premier ministre est aussi de favoriser la paix sociale en évitant les amalgames pour faire peur au monde, mais Jean-François Lisée a une course à gagner et le stratège en lui « câlle les shots » en ce moment.

« La seule raison pour laquelle il plonge là-dedans, c’est qu’il sait très bien qu’il y a 70 % de Québécois qui pensent qu’il y a trop d’immigrants au Québec », dit-on dans le clan d’Alexandre Cloutier.

Les députés (ils sont 14) qui appuient Alexandre Cloutier ne décolèrent pas contre Jean-François Lisée, qui a associé leur candidat au prédicateur Adil Charkaoui. « C’est vraiment bas, c’est indigne et on ne l’oubliera pas », lance une députée de l’équipe Cloutier.

Maka Kotto, autre député du clan Cloutier, a quant à lui accusé Jean-François Lisée, lundi, d’« agiter des vecteurs qui chatouillent la part sombre de nos âmes ». M. Lisée venait de déclarer que l’immigration a un impact mineur sur la croissance économique, précisant sa définition de l’« immigration parfaite » : les travailleurs recrutés par les employeurs à « Paris, Bruxelles et Barcelone », qui correspondent « exactement à la demande d’emploi  », qui sont immédiatement embauchés et « immédiatement intégrés ».

Lundi soir, j’ai croisé beaucoup de députés de l’Assemblée nationale et d’ex-politiciens au lancement du livre Le code Québec, de Jean-Marc Léger, dont Alexandre Cloutier et Gilles Duceppe, qui étaient livides devant cette nouvelle sortie de M. Lisée, lui aussi dans la grande salle du Vieux-Port pour cette soirée très courue.

Le code Québec confortera d’ailleurs Jean-François Lisée dans sa stratégie identitaire : les Québécois, y lit-on, ne sont pas plus racistes que les Canadiens, et moins que les Français et les Américains, mais ils se méfient des signes religieux, surtout ceux d’ailleurs.

M. Lisée a été conseiller de Jacques Parizeau, puis de Lucien Bouchard et il était ministre du gouvernement Marois, aux premières loges des débats enflammés autour de la charte des valeurs. S’il s’avance avec une telle détermination sur le terrain de l’identité, c’est qu’il croit pouvoir y faire des gains.

Pourtant, c’est le même Jean-François Lisée qui disait, en novembre 2014, à propos de la charte : « On a tellement braqué les gens. On a tellement divisé les gens. On a tellement mécontenté les communautés culturelles. On a tellement éloigné les jeunes. »

Apparemment, ce constat ne tient plus, du moins aux fins de cette course. Dans une entrevue récente, Jean-François Lisée me disait d’ailleurs que, selon lui, et après une étude minutieuse des résultats électoraux d’avril 2014, « la charte n’avait fait perdre que deux ou trois circonscriptions au Parti québécois ».

Lorsqu’il affirme que « les études disent que l’immigration a un impact très mineur sur la croissance économique », il prend un raccourci et omet deux nuances importantes.

D’abord, il serait plus juste de dire « des études », et non pas « les études », parce qu’elles ne sont pas unanimes. C’est évidemment plus nuancé que cela, comme toujours avec des dossiers aussi complexes.

Et puis, M. Lisée, qui s’en remet à ces études, doit savoir que les premières générations d’immigrés contribuent moins, en effet, à la croissance économique, parce que leur société d’accueil (ici comme ailleurs) dépense beaucoup en divers services à leur arrivée. D’ailleurs, M. Lisée réclame lui-même plus de moyens de l’État pour accueillir les immigrants.

Pour un homme se disant de gauche, il y a quelque chose de tristounet à considérer les immigrants sous l’angle de leur apport au PIB.

Parlant d’études, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques en a justement publié une, hier, qui conclut que les immigrés sont plus scolarisés en moyenne et qu’ils occupent des emplois peu payants pour lesquels ils sont surqualifiés parce que les employeurs les boudent. Le problème, selon l’IRIS, ce n’est pas le nombre d’immigrants ou les coûts qu’ils engendrent pour la société, mais bien plutôt la discrimination à l’embauche dont ils sont encore victimes, en particulier les femmes.

Mais ça, c’est pas sexy à dire dans un débat lorsqu’on cherche à mettre en boîte un rival avec une formule-choc.

Même chose pour Martine Ouellet qui brandit la clause dérogatoire avec désinvolture dans le débat linguistique, comme s’il s’agissait d’un banal règlement de stationnement.

Du coup, Alexandre Cloutier est en train de se faire passer un « Mulcair » : il défend des principes (juridiques, constitutionnels et d’ouverture) et il se fait joyeusement rentrer dedans.

Celui-ci n’en démord pas, toutefois : « Je suis constitutionnaliste, il y a des limites à ce que je vais dire pour gagner des votes ! »

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