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Les critiques de la semaine

Parmi les parutions récentes, voici cinq livres qui ont retenu l’attention de l’équipe de Lecture cette semaine.

Notre choix

Un homme en crise

Ör

Auður Ava Ólafsdóttir

Zulma

240 pages

****

Jónas, 49 ans, est un homme bricoleur et taiseux, qui a toujours tout réparé pour les femmes de sa vie. Désormais divorcé, miné par la solitude et profondément malheureux, il n’attend plus rien de l’existence. Et n’a plus rien à retaper que son âme brisée. Il décide donc de mettre fin à ses jours, la seule personne à qui il puisse parler étant sa mère atteinte de démence. Emportant avec lui sa caisse à outils, il se rend dans un pays détruit par la guerre où il se donne une semaine pour disparaître. Là, il réalise que chaque être humain porte son lot de cicatrices, mais que les siennes sont « bénignes et ridicules » face à celles des gens qu’il rencontre. « C’est bon pour un homme d’avoir quelqu’un à qui se confier », écrit Auður Ava Ólafsdóttir, qui n’a pas son pareil pour mettre à nu les sentiments avec la douce mélancolie qui caractérise son style. L’auteure de Rosa Candida contemple avec poésie et sensibilité la difficulté d’être un homme aujourd’hui, remettant en question la souffrance et le sens du bonheur dans des sociétés où, en théorie, on ne manque de rien d’autre qu’un peu d’amour quelquefois. Un merveilleux roman où chaque phrase engage la réflexion.

— Laila Maalouf, La Presse

Formidable voyage

Donnacona

Éric Plamondon

Le Quartanier

119 pages

*** 1/2

Après Taqawan au printemps, Éric Plamondon a lancé cet automne un autre livre, Donnacona, recueil de trois nouvelles tout aussi chatoyantes les unes que les autres. L’auteur de la brillante trilogie 1984 fait dans le récit plus intimiste, liant habilement chaque personnage avec le monde qui l’entoure, que ce soit dans Donnacona – son coin de pays natal –, récit de jeunesse hyper personnel tout en louvoiements maîtrisés, dans l’histoire d’amour balbutiante de Lendemain de pêche, ou dans l’émouvant retour aux sources de Ristigouche. Ce texte, qu’il avait publié en 2013 pour les 10 ans du Quartanier, est probablement sa plus grande réussite à ce jour. On relit avec émotion l’histoire de cet homme solitaire dont la mère vient de mourir, et qui, lors d’un après-midi de pêche au saumon dans la rivière Ristigouche, se promène de la grande histoire épique à la sienne. Dans ses trois nouvelles, l’auteur nous fait faire un formidable voyage au cœur du territoire et des sentiments humains, avec toujours cette écriture fluide et d’une beauté limpide, où les phrases naviguent d’un lieu à une époque à un état d’esprit sans que jamais on s’y perde. Au contraire, on ne peut être mieux qu’en compagnie des mots d’Éric Plamondon. — Josée Lapointe, La Presse

La grande illusion

C’en est fini de moi

Alfred Hayes

Gallimard

202 pages

***1/2

Après avoir découvert que sa femme le trompe, Asher quitte Hollywood où les contrats se font rares désormais. Destination New York, ville de son enfance qui pourrait bien ressourcer son inspiration et ranimer sa vie devenue moche de quinquagénaire avancé. Là, il rencontre son neveu Michael, poète et hippie avant la lettre, et sa copine Aurora dont l’espièglerie ne manque pas de piquant. Asher propose de payer Michael pour revisiter les lieux de sa jeunesse afin de connaître ce que lui et Aurora en pensent. Il est ébahi, puis vite dépassé par l’ambiguïté des jeux et rituels du jeune couple. Un peu comme dans son roman Une jolie fille comme ça paru en français l’an dernier bien qu’écrit il y a un demi-siècle, Hayes exploite ici les tourments du mitan de l’âge, la vaine quête de retrouver des fragments de sa jeunesse et l’incompréhension des ressorts qui animent les générations qui nous succèdent. La force du roman tient beaucoup dans la façon dont Asher, le narrateur, raconte son parcours en multipliant les analepses. Ces retours en arrière surgissent au gré d’une réflexion, d’un dialogue ou d’une situation qui font rejaillir autant de facettes d’un homme qui tente d’échapper au destin qu’il s’est en partie façonné. — Rudy Le Cours, La Presse

Critique

Magie et odeur de sainteté

Le saint patron des merveilles
Mark Frutkin
Alto
391 pages

Le saint patron des merveilles

Mark Frutkin

Alto

391 pages

***

Comme dans une recette de cette alchimie chère à son personnage, l’auteur ottavien Mark Frutkin transforme les mots en un récit singulier, mêlant des ingrédients de magie, de superstitions et d’amour pour créer une histoire tout en subtilités. À Crémone, en 1758, un avocat du diable enquête sur la candidature à la sainteté d’un prêtre qui y a vécu 76 ans plus tôt, Don Fabrizio Cambiati. Le jésuite en a vu d’autres : dans maintes villes, il a entendu des rumeurs semblables – guérisons miraculeuses, pouvoir de flotter au-dessus du sol et de ramener à la vie des plantes, des animaux, peut-être même des humains –, fondées sur l’imagination ou les mensonges. Au cours de ses recherches, il rencontre la fille adolescente du duc et développe une véritable fascination pour elle, comme le prêtre en a éprouvé une pour son arrière-grand-mère bien des années auparavant. Alternant entre les deux époques, Le saint patron des merveilles joue sur les doutes et les croyances. Une troupe de la commedia dell’arte sur la grand-place de Crémone fait miroir à l’histoire, à l’envoûtement de l’amour, interdit ou inaccessible, et d’un violon enchanté. Un roman bien écrit, parfois désorientant, mais qui reste intéressant. — Janie Gosselin, La Presse

Critique

Une disparition anecdotique

L’île au poisson venimeux
Barlen Pyamootoo
Éditions de l’Olivier
176 pages
*** 1/2

L’écrivain et cinéaste mauricien Barlen Pyamootoo signe ici un quatrième roman inspiré d’un fait divers quelque peu anecdotique, auquel il réussit à donner subtilement des allures de fable. À l’île Maurice, Anil, père de famille sans histoire et propriétaire d’une boutique de vêtements, se volatilise après avoir dîné avec un ami. Dès le lendemain de sa disparition, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre en ville, déclenchant une véritable « foire aux hypothèses ». Tout le monde y va de ses suppositions – qui le croit noyé, qui prétend qu’il est parti avec une maîtresse, ou encore victime de sorcellerie… Sa femme, Mirna, passe par toute une série d’émotions, de l’inquiétude à la colère, alors que sa belle-famille la tient responsable du départ de son époux. Le temps passe et Anil demeure introuvable. À quel moment devient-il acceptable de tourner la page sur « douze années de mariage et deux gosses » ? L’auteur manie d’une main de maître l’ironie et la dérision pour explorer les motivations qui guident nos choix et rire de notre curiosité envers le malheur des autres. Si cette savoureuse histoire devait avoir une morale, on pourrait en conclure qu’on ne change peut-être pas de nature aussi facilement qu’on le croit. — Laila Maalouf, La Presse

  

Extrait

« Le quartier éveillait des souvenirs qui flottaient en lui, il marchait pourtant d’un pas lourd, peut-être à cause de la rue qui lui paraissait interminable, comme creusée au centre de la Terre. Mon chemin de croix, a-t-il soupiré quand il a commencé à confondre des fragments du passé avec l’image de quelques vieux qui trottinaient devant lui. Ils étaient drapés de soierie ancienne et parlaient fort de restes et de reliques, ils formaient sans doute la queue d’un cortège funèbre. Anil a forcé l’allure pour fuir son enfance, quelle grande distance pourtant l’en séparait, des deux côtés poussaient des fleurs gaies et vives, mais sans odeur, et des arbres d’agrément en bordure des pelouses aplanies et tondues ras, qui rappelaient un décor peint, et il se sentait étranger parmi ces maisons vides, dénuées de perspective, qui ne portaient pas de tache, ni de soleil ni d’humidité. »

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