Éditorial : Parc Jean-Drapeau

« Vous n’avez pas d’affaire là ! »

La Société du parc Jean-Drapeau a décidé de chasser les cyclistes, piétons et patineurs qui utilisent le circuit Gilles-Villeneuve par dizaines de milliers chaque été… comme s’ils n’avaient pas d’affaire là.

Elle leur refait ainsi le coup de 2009, alors qu’elle avait choisi de les écarter cavalièrement du site en multipliant les chicanes et les pôles de ralentissement sur leur chemin… comme s’ils n’avaient pas d’affaire là.

La raison diffère, de même que l’approche et le contexte. Mais la méthode est la même : on évacue les usagers quotidiens du circuit, sans avertissement, sans consultation, sans même avoir pris la peine de réfléchir à des solutions alternatives avec eux.

Dans le fond, le grand malheur des cyclistes et des patineurs, c’est de ne pas rapporter d’argent.

Pas d’affiche commerciale ni de prix d’entrée pour accéder au circuit, donc pas de problème à le réquisitionner… pour ceux qui payent.

En raison du réaménagement de l’amphithéâtre naturel dans l’île Sainte-Hélène, les Piknic Électronik, Festival Osheaga et autres seront en effet déplacés aux deux extrémités du circuit Gilles-Villeneuve, dans l’île Notre-Dame.

L’accès à la « piste cyclable » sera donc fermé du 8 mai au 4 septembre, mis à part une petite portion qu’on tentera d’ouvrir à l’occasion, « lorsque l’horaire de montage et démontage des événements le permettra ».

On donne donc la clé du parc au privé, en lui demandant de nous ouvrir la porte de temps en temps… si possible.

Le problème, ce n’est pas, en soi, que la piste soit condamnée ponctuellement. On ne peut être contre tout inconvénient tout le temps. La réaction à la fermeture estivale du complexe aquatique, collé sur le futur chantier, a d’ailleurs été moins viscérale.

Le problème, c’est plutôt qu’on ait condamné la piste avec autant de désinvolture, sans la moindre annonce, pour toute la durée de l’été… et peut-être même pour l’été prochain ! Comme si les usagers du circuit étaient, avec les baigneurs, les seuls à devoir faire des concessions en lien avec les travaux qui s’étireront dans le parc jusqu’en 2019.

Disons-le, les travaux sont une très bonne nouvelle. Enfin, on met de l’argent (70 millions de dollars) dans l’entretien de ce parc quasiment abandonné depuis qu’on a mis un terme aux activités de Terre des Hommes… en 1981 !

Bravo, mais n’oublions pas, en chemin, que le parc Jean-Drapeau est un… parc. Municipal. Pour tous.

Comme Central Park à New York, par exemple, dont il partage d’ailleurs la taille.

Cela impose aux autorités des considérations différentes de celles concernant un lieu de divertissement commercial, où l’on peut fermer ou déplacer des scènes sans problème. Déjà que Montréal se fait généreux en assumant les coûts de l’amphithéâtre à la place des promoteurs, n’y avait-il aucune concession possible de leur part ? Ils ne font qu’attendre pendant que d’autres payent le prix des travaux ? Ont-ils aussi exigé, un coup parti, des excuses de la Ville ?

Il est maintenant trop tard pour revenir en arrière à une dizaine de jours de cette fermeture irrespectueuse en cette « année exceptionnelle » du 375e anniversaire, comme a dit Denis Coderre.

Mais il n’est pas trop tard pour faire de cette seconde expulsion en moins de 10 ans… la dernière. Il n’est pas trop tard pour que le maire profite de la fermeture du circuit pour officialiser son statut de lieu d’entraînement et de loisir en dehors des courses de Formule 1, comme le demande Vélo Québec.

Les usagers ne seraient pas plus heureux de la fermeture du circuit, entendons-nous, mais ils auraient au moins l’impression qu’une fois les travaux terminés, ils auront bel et bien le droit d’être là…

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