LA VIRÉE DES GALERIES ivanhoé cambridge

Le bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Ivanhoé Cambridge, a récemment concrétisé deux projets d’arts visuels à Montréal : l’intégration de 123 œuvres d’art à l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth et celle d’une immense œuvre d’art numérique de Rafael Lozano-Hemmer à la nouvelle Maison Manuvie. Deux réalisations qui donnent un coup de pouce à l’art contemporain.

LA VIRÉE DES GALERIES

L’art contemporain à l’honneur au Reine Elizabeth

Propriétaire de l’hôtel montréalais Fairmont Le Reine Elizabeth, récemment restauré de fond en comble, Ivanhoé Cambridge a confié à MASSIVart le soin de lui donner un air contemporain. L’organisme a répondu présent en intégrant 123 œuvres d’art qui transforment l’hôtel en un mini-musée permanent.

Si les musées, cabinets d’avocats et entreprises financières collectionnent des œuvres d’art contemporain, rares sont les hôtels qui ont développé chez nous ce réflexe en favorisant des artistes locaux. Le Reine Elizabeth ayant subi une cure de jouvence de 140 millions (entre juin 2016 et juillet 2017), Ivanhoé Cambridge en a profité pour habiller les espaces intérieurs d’œuvres d’art de qualité muséale.

Pour ce faire, la société immobilière a fait appel à la conservatrice de la collection de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Marie-Justine Snider, et à l’organisme MASSIVart pour choisir ces œuvres.

« On voulait représenter les meilleures pratiques en art contemporain. Le déploiement comprend 123 œuvres de 37 artistes, majoritairement québécois », affirme Mme Snider

À l’exception de six œuvres de l’ancienne collection de l’hôtel, toutes ont été achetées dans une dizaine de galeries de Montréal. « Cela dresse un portrait de l’effervescence de l’art visuel à Montréal, dit Arthur Gaillard, directeur de MASSIVart Collection, qui a dirigé le projet. La nouvelle collection comprend autant d’artistes émergents que d’artistes établis. »

Les 123 œuvres sont dispersées sur six étages de l’hôtel. Au 21e étage, un espace évoquant une galerie d’art a été aménagé pour recevoir une dizaine d’œuvres, notamment de Michel de Broin, Patrick Coutu, Jean-Benoit Pouliot, Rafael Sottolichio, Gwenaël Bélanger et Julie Trudel.

L’art dans les suites

Dix œuvres ont été intégrées dans les deux suites prestigieuses de l’hôtel. La suite 1742, qu’ont occupée John Lennon et Yoko Ono en 1969, a accueilli une sculpture en crinoline de Jannick Deslauriers, créée pour l’occasion, une photographie de Celia Perrin Sidarous, des cyanotypes de Karen Tam et une série d’œuvres sur papier de Marie-Soleil Denault inspirée notamment de dessins de John Lennon.

Dans la même célèbre suite, MASSIVart a créé une œuvre murale interactive où des tiroirs diffusent des éléments historiques reliés à la venue de l’ex-Beatle à Montréal et à l’ambiance de la suite quand a été enregistrée la chanson Give Peace a Chance.

Dans la suite Royale Ville-Marie du 19e étage, dotée d’une vue imprenable sur le mont Royal et les couchers de soleil, une photographie de Geneviève Cadieux a été placée judicieusement en face d’un comptoir en marbre. Les marbrures de la table, avec leurs inclusions d’oxydes métalliques, se marient à merveille au touché graphitique de Fleur exquise, une impression au jet d’encre de l’artiste montréalaise datant de 2006.

Cette suite comprend aussi une lithographie de Jean Paul Riopelle, une peinture de la série Jardin de pierres vaste, de Jean McEwen, une gravure d’Elmyna Bouchard, une œuvre en argile et céramique de Susan Collett et un bronze géométrique de Laetitia Gilbert. Le tout dans une disposition harmonieuse choisie en fonction de la géométrie des lieux et des coloris.

Aux 2e et 3e étages de l’hôtel, où sont concentrés des espaces réservés aux gens d’affaires, deux peintures récentes de Nicolas Grenier abordent… les affres du marché et les dérives de l’Occident. Un choix à la fois culotté et habile de la part de MASSIVart !

« La thématique de l’espace est rétro-futuriste », précise Arthur Gaillard, qui a aussi choisi des impressions au jet d’encre de Jessica Eaton, une sculpture en stores vénitiens de James Carl ou encore deux encres sur papier de la série Chinoiserie de François Morelli.

Au 1er étage, des œuvres de Mathieu Beauséjour, Sarah Anne Johnson, Alex McLeod et Luce Meunier invitent à y regarder de plus près. Au rez-de-chaussée, dans la salle d’un restaurant, MASSIVart a marqué un grand coup avec l’huile sur toile en deux panneaux (40 pi de long au total) de Paul Hardy, une commande spécifique qui donne beaucoup de prestige au lieu.

Enfin, dans le grand couloir de l’hôtel, à l’entrée d’un nouveau commerce de produits artisanaux, on retrouve, en frise, Persévérance (1946), le large vitrail de Marius Plamondon et de Benoît East tiré de la collection précédente, qui a ainsi droit à un second souffle.

Couplé à une nouvelle architecture intérieure moderne et chic, ce déploiement d’art donne un nouveau cachet à l’hôtel, une signature à la fois internationale et locale. Un dépliant est offert à l’accueil de l’hôtel pour permettre aux visiteurs de repérer les œuvres placées dans les aires communes.

Quant à celles qui veillent au doux repos des occupants de la suite John Lennon & Yoko Ono, elles étaient accessibles en décembre pour le prix de… 1969 $ la nuit. Mais il y a deux lits !

Rafael Lozano-Hemmer

Célébrer les couleurs du monde

Ivanhoé Cambridge a inauguré un immeuble commercial de 27 étages le mois dernier au 900, boulevard De Maisonneuve Ouest. Une immense œuvre numérique a été intégrée à l’architecture du grand hall d’entrée de la Maison Manuvie. Signée par l’artiste Rafael Lozano-Hemmer, elle diffuse 510 variations de couleurs qui dépendent des personnes présentes.

Dans le grand hall de la Maison Manuvie, une plaque commémorative réalisée par Owisokon Lahache, une artiste mohawk de Kahnawake, a été installée près de la façade vitrée. Pour marquer le fait « d’être en terre autochtone ancestrale », a dit un cadre d’Ivanhoé Cambridge lors de l’inauguration.

En levant les yeux de cette plaque et en portant le regard vers le grand panneau coloré qui surplombe l’atrium, on fait un bond du passé vers la modernité, avec Colorimètre.

Première œuvre d’envergure de l’artiste d’origine mexicaine Rafael Lozano-Hemmer à être installée de façon permanente à Montréal, Colorimètre est formée de 510 panneaux lumineux disposés en trame, contenant chacun 54 ampoules DEL.

Ces panneaux numériques de 30 cm sur 60 cm diffusent des couleurs qui dépendent de ce que portent les personnes qui se trouvent dans l’atrium. Ces couleurs sont en effet définies par les teintes les plus saturées captées par une caméra munie d’un système informatisé de suivi des couleurs et située sous les panneaux de Colorimètre.

Durant la journée, l’œuvre est influencée par la lumière du soleil. Les couleurs sont donc plus fortes, tout en restant mesurées. Le soir du vernissage, Colorimètre reflétait le style des personnes venues y assister, surtout des gens d’affaires en costume. C’est donc une couleur bleu foncé qui prédominait sur les panneaux lumineux.

Par ces couleurs prélevées et connectées, Rafael Lozano-Hemmer traduit la diversité de la population, l’apport de chacun à la collectivité et les variations d’atmosphère qui existent dans un endroit donné durant 24 heures.

« Avec cette œuvre, j’ai voulu parler de Claude Tousignant, de Guido Molinari, d’artistes qui ont introduit les couleurs dans les édifices. Je suis conscient de travailler dans la continuité d’une grande tradition qu’il faut célébrer. Et j’en suis très heureux. »

— Rafael Lozano-Hemmer

Colorimètre rappelle le travail des couleurs d’un Gerhard Richter, de Julio Le Parc, de Jack Bush ou encore de Pierre Dorion, avec ses polyptyques récemment exposés à la galerie Occurrence.

L’œuvre fait aussi indéniablement penser à l’œuvre murale de Jean-Paul Mousseau, Lumière et mouvement dans la couleur, créée au début des années 60 et restaurée en 2002 dans le hall d’entrée de l’édifice d’Hydro-Québec, à Montréal. La technologie de 2017 en sus.

Les couleurs de la nuit

Même si elle est déjà en activité, Colorimètre n’est pas totalement terminée. « Le vernissage de l’œuvre, c’est le début de sa vie », dit Rafael Lozano-Hemmer, qui ne se satisfait pas du fait que, le soir, le manque d’animation donne à l’œuvre des teintes de gris. De ce fait, il espère pouvoir bientôt placer une autre caméra sur le trottoir pour que l’œuvre adopte, la nuit, les couleurs variées de l’animation urbaine.

L’artiste, qui a représenté le Mexique à la Biennale de Venise en 2007, a déjà travaillé avec un système informatisé de repérage par caméra de surveillance, par exemple pour son œuvre The Company of Colours, en 2009 – œuvre qui appartient à la collection Daros, en Suisse, et au Museum of Contemporary Art de Sydney, en Australie.

Il existe quatre ou cinq créations lumineuses de cette taille dans le monde actuellement. Colorimètre est la plus grande œuvre permanente que Rafael Lozano-Hemmer ait créée. « Mais ça peut changer d’ici six mois ! » dit-il.

C’est à la suite d’un concours qu’il a été choisi pour ce projet. Un concours organisé par Marie-Justine Snider, conservatrice de la collection d’œuvres d’art de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

« J’ai senti qu’Ivanhoé Cambridge avait le goût d’une œuvre interactive pour la Maison Manuvie, compte tenu du fait qu’il y aurait une circulation dans l’atrium. Et l’entreprise voulait un artiste avec un certain curriculum vitæ. »

— Marie-Justine Snider, de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Réputé pour ses créations interactives de haute technologie, Rafael Lozano-Hemmer a atteint en 15 ans une réputation internationale. Seulement depuis septembre, il a montré ses créations à Calgary, en Australie, en Allemagne, en Suisse, en Israël, en Espagne, dans neuf villes des États-Unis, au Portugal et au Mexique ! Sans parler de ses œuvres exposées de façon permanente à Londres, Québec, Montréal (au Centre Phi), Nashville ou Hobart, en Australie.

En 2018, il présentera six expos solos dans le monde. À New York, à Séoul, à Monterrey, à Washington et, dès le 23 mai, au Musée d’art contemporain de Montréal, une coproduction avec le MOMA de San Francisco.

« C’est la première fois de ma vie que je suis aussi occupé ! » dit l’artiste qui a fêté ses 50 ans le mois dernier. Son studio montréalais, Antimodular Research, créé en 2003, emploie maintenant 15 personnes.

Colorimètre, de Rafael Lozano-Hemmer, à la Maison Manuvie (900, boulevard De Maisonneuve Ouest), à Montréal.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.