Un combat inégal contre Hydro-Québec, dénoncent des intervenants
La Régie de l’énergie se consacre depuis bientôt 20 ans à la protection des intérêts des consommateurs d’électricité, de gaz et de pétrole. Alors que le gouvernement annonce son intention de revoir son fonctionnement pour la rendre plus efficace, plusieurs intervenants dénoncent le combat inégal qu’ils doivent mener dans les dossiers avec Hydro-Québec parce que les moyens de la société d’État pour faire valoir ses arguments sont illimités… et confidentiels.
L’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité (AQCIE) a bien essayé de savoir combien Hydro-Québec dépense pour défendre ses causes devant la Régie de l’énergie. Sans succès. C’est pourtant de l’information qui concerne tous les clients parce que ces frais se retrouvent inévitablement dans les tarifs d’électricité, explique Luc Boulanger, directeur exécutif de l’AQCIE.
Faire des représentations devant la Régie coûte cher. Il faut des avocats et des experts, qui commandent des tarifs horaires exorbitants. C’est la raison pour laquelle l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité fait équipe avec le Conseil de l’industrie forestière du Québec devant la Régie pour partager les frais.
Les industriels, comme les associations de consommateurs et les environnementalistes qui interviennent devant la Régie, sont remboursés pour leurs frais « lorsque l’intérêt public le justifie ». C’est la Régie qui décide si c’est d’intérêt public et son jugement fait souvent des mécontents.
L’AQCIE, qui a dépensé 108 000 $ pour contester les arguments d’Hydro-Québec lors de la dernière demande de hausse de tarifs, a reçu un remboursement de 90 000 $. La Régie a jugé que le nombre d’heures réclamées pour ses avocats et spécialistes était trop élevé.
Hydro-Québec réclamait une hausse de 1,9 % au 1 avril 2016, et la Régie lui a accordé une augmentation de 0,7 %.
L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), qui réclamait des frais de 95 751,45 $, a reçu 60 000 $. Le Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME), un autre groupe d’environnementalistes, a réclamé 63 181,62 $ et reçu 40 000 $.
C’est Hydro-Québec qui paie ces remboursements de frais. Mais avant, elle porte des jugements sur l’utilité des interventions et a son mot à dire, au final, sur le montant du remboursement auquel auront doit ceux qui contestent ses affirmations devant la Régie.
« Ça peut être tentant de museler ceux qui font des représentations devant la Régie », s’inquiète Luc Boulanger. L’AQCIE a décidé de ne plus participer aux travaux en cours à la Régie sur la création d’un mécanisme tarifaire qui ferait profiter les consommateurs d’électricité des gains de productivité d’Hydro-Québec, en raison du coût élevé de l’exercice et de l’incertitude sur les sommes qui pourront être remboursées.
« Les frais des intervenants sont scrutés à la loupe par la Régie et de l’autre côté, Hydro peut dépenser sans compter. »
— Marc-Olivier Moisan-Plante, analyste en énergie de l’Union des consommateurs
Le porte-parole constate que les groupes environnementaux semblent écoper davantage de la réduction des budgets des intervenants. « Ce n’est pas une façon de garantir une contre-expertise de qualité, et je ne pense pas que le public va être gagnant », dit-il.
Le gouvernement québécois s’est engagé à revoir les pouvoirs de la Régie de l’énergie et à simplifier son fonctionnement. L’occasion est bonne de revoir les règles de ce combat inégal.
Dans une décision récente, la Régie de l’énergie s’inquiète de l’ampleur des frais réclamés par les intervenants. « Ces frais sont payés par les consommateurs d’électricité », souligne-t-elle. Pas un mot, toutefois, sur les dépenses d’Hydro-Québec pour contrer les arguments de ces intervenants, qui sont payées aussi par les consommateurs d’électricité.
Hydro-Québec fait valoir que les redevances qu’elle paie à la Régie pour financer son fonctionnement et les sommes qu’elle rembourse aux intervenants sont publiques. Quant à ses dépenses pour faire valoir ses arguments devant la Régie, elles sont comptabilisées avec ses autres charges d’exploitation, qui totalisent plus de 1 milliard de dollars. Si la société d’État ne détaille pas ce qu’il lui en coûte pour défendre ses arguments devant la Régie, c’est parce qu’il s’agit d’un calcul trop complexe, selon son porte-parole Marc-Antoine Pouliot.
La transparence est le mot d’ordre du nouveau président d’Hydro-Québec, Éric Martel, souligne Luc Boulanger, de l’AQCIE. « Déclarer à la Régie et à ses intervenants les montants qui sont dépensés serait une preuve utile et nécessaire de cette transparence », estime-t-il.