Opinion

L’apport dynamique des universités aux villes

C’est dans une chaloupe au large de Vancouver que j’ai eu l’impression de saisir l’âme de Montréal pour la première fois. Un ami que je visitais m’avait invité au chalet de ses parents, bâti sur une île. Au retour, alors que le vent s’était levé et que les vagues, de plus en plus grosses, semblaient nous pousser tout droit vers l’Asie, j’ai contrôlé ma panique en détaillant la ville : le campus de l’UBC, l’une des grandes universités du pays, se dressait fièrement en marge de la cité, isolé par une forêt de thuyas géants.

Depuis l’émergence du concept de « société du savoir » par le consultant en management austro-américain Peter Drucker, dans les années 70, on souligne régulièrement l’importance stratégique des universités pour le développement économique. Par exemple, le fait que Québec, huitième ville en importance au Canada, ait réussi à devenir le deuxième centre de l’industrie de l’assurance au pays est essentiellement dû au dynamisme de l’École d’actuariat de l’Université Laval. Ou encore, la capacité de Montréal à attirer des antennes de Google, Microsoft et Facebook s’explique par l’excellence des groupes de recherche comme l’Institut de valorisation des données (IVADO) et l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal (MILA) en intelligence artificielle.

Mais s’il est entendu que les universités sont autant de moteurs pour nos économies, leur rôle comme acteurs de la cité est le plus souvent passé sous silence. Brassé par les vagues du Pacifique, j’ai alors compris pourquoi Vancouver, pourtant magnifique, était si morne alors que Montréal, moins réussie en matière d’urbanisme et d’architecture, était si vivante : dans la première, les universités ont été construites à l’américaine, à l’écart de la ville, alors que dans la seconde, les principaux campus ont été érigés au centre.

L’exemple de Sherbrooke

Au Québec, c’est probablement à Sherbrooke que le rôle structurant des universités est le plus manifeste. Sans vouloir insulter ceux qui y vivent, c’est objectivement une ville ordinaire, aménagée sans recherche et n’ayant retenu de l’héritage anglo-saxon qu’un goût douteux pour le paradigme royal en toponymie, à commencer par son surnom, la « reine des Cantons-de-l’Est », ou son principal boulevard, dénommé « King ».

Pourtant, la ville dégage une énergie admirable. Cela, parce qu’on a décidé de placer l’Université de Sherbrooke (UdeS) et les six autres institutions d’enseignement supérieur, réunis dans le « Pôle universitaire de Sherbrooke », au cœur de la stratégie de développement de la région. Les étudiants de l’UdeS ont d’ailleurs un accès gratuit aux transports en commun. Cette facilité de déplacement se traduit par la possibilité pour les 40 000 étudiants d’habiter où ils veulent. De fait, ils résident un peu partout, ce qui fait que la ville vibre au rythme de la jeunesse qui en a (très heureusement) pris le contrôle.

Imaginons que Québec ait suivi ce modèle, que l’Université Laval se soit développée à partir de son campus historique, aux côtés de la basilique dans le Vieux-Québec. Aujourd’hui, le centre de la ville serait vibrant, son offre commerciale tournerait autour de cafés et de bars étudiants plutôt que de boutiques de souvenirs.

On aurait voulu transformer le Concorde en résidence étudiante plutôt qu’en Résidences Soleil. On aurait fait du chemin des plaines d’Abraham une giga-piste de jogging plutôt qu’une route pour faire les « marches en char » ; jamais il n’aurait été question du troisième lien, le centre de la ville ayant été plus densément peuplé. A contrario, l’Université Laval s’est installée en bordure de la ville, entourée de ce qui est probablement le plus grand stationnement du Canada.

À Montréal, sept des onze universités ont leur campus principal au centre-ville, alors que l’Université de Montréal, HEC et Polytechnique sont dans son pourtour immédiat. Les 200 000 étudiants qui les fréquentent insufflent à la ville un dynamisme qui explique en grande partie ce pour quoi Montréal est si vivante alors que les villes similaires en Amérique du Nord, qui ont pratiquement toutes aménagé leurs campus universitaires à l’écart, sont si moroses.

Encore mieux

Mais comme c’est si souvent le cas dans la métropole, on peine à tabler sur nos avantages. Il y a un peu plus de 10 ans, le recteur de l’Université Concordia, Claude Lajeunesse, avait approché la Ville pour qu’elle requalifie le quartier entourant son campus du centre-ville, rajeuni par de nouveaux immeubles signés Cardinal Hardy. Le projet était de piétonniser ou d’élargir radicalement les trottoirs dans le carré formé par Sherbrooke, Guy, René-Lévesque et Bishop, et d’y installer un mobilier urbain distinctif. Comme c’est trop souvent le cas à Montréal où l’on souhaite faire plaisir à tout le monde, un projet bien plus modeste a été réalisé, principalement autour de la reconfiguration du boulevard De Maisonneuve et de sa place Norman-Bethune.

Une ville qui voudrait miser sur l’avantage étudiant reviendrait aux plans originaux. En parallèle, elle investirait pour doter le Quartier de l’innovation, aux alentours de l’École de technologie supérieure, d’infrastructures urbaines du XXIe siècle. Le chemin de la Côte-des-Neiges et les rues transversales dans le secteur de l’Université de Montréal (UdeM) feraient l’objet d’un plan particulier d’urbanisme (PPU) pour densifier et transformer ce secteur en deuxième pôle étudiant de la métropole. L’avenue Beaumont et la rue Jean-Talon seraient requalifiées pour que la connexion entre Parc-Extension et le nouveau campus MIL de l’UdeM parte à fond de train. Même chose pour l’avenue du Parc, entre Sherbrooke et Président-Kennedy, qui pourrait être envahie d’étudiants de l’Université McGill.

En somme, une ville qui voudrait miser sur l’avantage étudiant devrait prioriser le réaménagement des secteurs universitaires. Les étudiants en profiteraient, mais également, et surtout, l’ensemble des Montréalais qui pourraient ainsi évoluer dans une cité plus dynamique que jamais.

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