école à domicile

« non-rentrée » pour des milliers d’enfants

« Les enfants reprennent l’école le 23 septembre. En fait, nous partons en voyage la semaine prochaine puisque tout le monde retourne à l’école. Il y a moins de monde et puis… les prix des billets d’avion sont beaucoup moins chers ! »

Au bout du fil, Catherine Trudel, mère de trois enfants de 5, 8 et 10 ans, est très enthousiaste lorsqu’elle parle de la « non-rentrée scolaire » : pour la troisième année, elle fait l’école à la maison. C’est donc elle qui est responsable du calendrier scolaire et du projet d’apprentissage de ses enfants.

Au Québec, 5300 enfants sont scolarisés à la maison, selon l’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED). Bien que cela représente moins de 1 % des enfants québécois de 6 à 16 ans, la tendance est à la hausse. Il y a cinq ans, on comptait 1180 enfants inscrits à l’école à la maison, selon le rapport de statistiques du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur de 2015. Cette hausse importante (4,5 fois plus) s’explique en partie par les dispositions de la loi sur l’école à la maison instaurées à l’été 2018 : elles obligent les parents qui font l’école à la maison à le signaler à leur commission scolaire.

Noémi Berlus, directrice de l’AQED, croit que les coupes dans le système d’éducation peuvent aussi guider le choix de ces familles. « Nous représentons 900 familles, soit environ 3500 enfants, explique-t-elle. Lors d’un sondage au sein de nos membres, nous avons découvert que les deux tiers des enfants qui font l’école à la maison ont un enjeu particulier, soit un problème de comportement, un trouble d’apprentissage, une douance ou un autre besoin particulier. » Christine Brabant, professeure à l’Université de Montréal et spécialiste des pratiques d’apprentissage à domicile, rappelle que les raisons de choisir l’école à la maison sont très variées. 

« Il ne faut pas mettre ces parents dans de petites boîtes. Oui, cela est un choix marginal, mais toutes les différences y sont accueillies. Un point commun entre ces familles : elles ne trouvent pas leur place dans le système actuel. »

— La spécialiste Christine Brabant

C’est le cas de Karine Cloutier, mère d’une fillette de 9 ans qui éprouve des difficultés d’apprentissage. « C’est un peu l’école, et la façon dont étaient gérés les plans d’intervention de ma fille, qui nous a poussés à faire ce choix », laisse tomber la résidante de Sainte-Croix. « C’est notre première année d’école à la maison, et ma fille est très heureuse. Elle me dit : “C’est le fun, je ne me ferai pas chicaner.” » Pour marquer le début de la « non-rentrée », Mme Cloutier a préparé un chariot à roulettes dont les tiroirs colorés représentent chacun des matières au programme. « On ne fait pas de sac à dos cette année ; on fait un chariot avec lequel on va se déplacer dans la maison », souligne-t-elle.

Pour Elisabethe Boucher et sa marmaille de quatre enfants (Marius, 7 ans ; Iris et Astride, 5 ans ; Hadrien, 3 ans), la rentrée scolaire se fera le 16 septembre. « Nous commençons cela lentement, en explorant les thèmes et le matériel, dit la mère de 31 ans. Je prépare des sacs à surprises pour les enfants, le plus petit a du nouveau matériel artistique et chacun a un nouvel assistant en peluche ! »

Frédéric Picard et sa conjointe entament leur 18e année d’école à la maison ! Leurs cinq enfants, qui ont entre 8 et 22 ans, ont tous été scolarisés à la maison jusqu’à leur entrée en quatrième secondaire. « C’est à cette étape qu’ils demandent de faire la transition », dit ce Longueuillois de 47 ans qui travaille à l’extérieur, mais qui soutient sa conjointe, principalement responsable de la scolarisation des enfants. « Pour nous, c’est un choix qu’on renouvelle d’une année à l’autre, en famille, en se demandant si c’est ce qu’on veut toujours. » Et la rentrée, comment ça se passe ? « Cette année, la rentrée à la maison se fait seulement pour notre petite dernière de 8 ans, qui est en troisième année. Et cela se fait dans la continuité parce que l’école à la maison, c’est un mode de vie… Il y a beaucoup moins de transition entre les saisons. »

Comme chaque année depuis 15 ans, Mélissa Lépine amorce l’école à la maison en établissant un thème qui sera exploré sous de nombreuses facettes tout au long de l’année. « Cette fois-ci, c’est l’arc-en-ciel », dit cette mère de quatre enfants, qui ont de 2 à 18 ans. 

« On travaille en équipe, selon les niveaux, explique Mme Lépine. La tradition, pour la rentrée, c’est de faire la photo, un peu comme pour les enfants qui entrent à l’école ! On fait des repas spéciaux, un pique-nique… C’est un nouveau cycle qui s’amorce. »

Dans les différentes régions du Québec, des parents qui font l’école à la maison se regroupent afin de discuter de leurs réalités, d’échanger des idées et de planifier des sorties éducatives. Ils se rencontrent plusieurs fois par année. « À la rentrée, beaucoup organisent des pique-niques de non-rentrée, dit Mme Berlus. C’est aussi le moment pour eux de sonder l’intérêt du groupe quant à l’organisation des sorties. »

D’ici le 30 septembre, les familles qui font l’école à la maison doivent déposer par écrit, au ministère de l’Éducation, leur projet d’apprentissage. Rappelons qu’un nouveau règlement, adopté le 17 juillet, forcera les enfants qui font l’école à la maison à se soumettre aux examens ministériels, et ce, dès juin 2022.

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