Chroniqueur invité

Bâtir nos prochains grands fleurons québécois

Diplômé de Harvard et cofondateur de Busbud, une start-up de Montréal qui veut révolutionner le transport par autobus, Louis-Philippe Maurice est notre collaborateur invité pour tout le mois de septembre. 

« Il faut faire pousser une nouvelle vague d’entreprises québécoises qui auront leur siège social à Montréal », déclarait récemment Alexandre Taillefer, entrepreneur et investisseur chez XPND Capital, lors d’une allocution au Salon des entrepreneurs organisé par la Jeune Chambre de commerce de Montréal.

Cette phrase a été une petite révolution pour moi.

Depuis ma jeunesse, j’entends parler du départ de nos sièges sociaux montréalais. Les bulletins de nouvelles annonçaient tour à tour les départs ou des réductions importantes de taille des sièges de Provigo, Bauer, Microcell, Alcan et la Banque Royale. Selon un rapport de KPMG-Secor, Montréal aurait perdu 20 % de ses sièges sociaux qui figuraient au top 500 canadien entre 1990 et 2011. Que ce soit pour des motifs d’affaires ou sociopolitiques, nos sièges sociaux ont été délocalisés en grand nombre. Ces départs m’apparaissaient une situation irréversible et inévitable, une plaie impansable qui aurait des impacts à long terme sur le tissu économique du Québec.

Nous savons que les sièges sociaux d’entreprises sont particulièrement vitaux dans l’écosystème pour l’économie d’une province. Ils sont le cœur de leur communauté d’affaires en pompant du sang dans un réseau d’employés, de clients, de partenaires, de fournisseurs de services et même d’institutions caritatives qu’ils soutiennent.

Or, il appert que les sièges sociaux sont en fait une ressource renouvelable. Il est possible d’en faire pousser de nouveaux et, en sus, plus rapidement que jamais.

Au début du XXe siècle, ça pouvait prendre de nombreuses décennies avant qu’une entreprise atteigne une masse critique pour bâtir un siège social d’importance. Au Québec, nos grandes sociétés comme Desjardins, Groupe Jean Coutu, Bombardier, Québecor et Power Corporation ont mis plusieurs décennies à se développer. Nos plus grands employeurs au Québec aujourd’hui sont surtout des banques, des sociétés financières, des commerçants au détail, des exploitants de ressources naturelles ou des entreprises en télécommunications.

Avec l’internet, les nouvelles technologies, les outils de collaboration, l’accès facilité au capital et l’ouverture des marchés internationaux, il est désormais possible de faire pousser de grandes entreprises plus vite qu’autrefois. La technologie permet maintenant la croissance accélérée d’organismes, notamment en matière de cellules souches et d’agriculture. Cela s’applique aussi aux entreprises.

En 20 ans, Amazon a créé 100 000 emplois à partir de son siège social à Seattle. En 15 ans, Google en a créé 50 000 à partir de Palo Alto. Pendant cette même période, la société chinoise Baidu en a créé 35 000 à partir de Pékin. En 10 ans, Facebook a créé 7000 emplois et Twitter, 3000. Au Canada, Shopify a créé 400 emplois dans les 10 dernières années à partir d’Ottawa et Hootsuite, 400 emplois dans les cinq dernières années à Vancouver. Quelques années auparavant, ces entreprises étaient considérées comme des start-ups.

Ce n’est pas seulement la quantité de postes créés qui est importante, mais bien la qualité des emplois, le savoir-faire de pointe et le rayonnement pour la communauté. Ces nouvelles entreprises, souvent présentes dans le commerce électronique, les logiciels web, les biotechnologies ou les énergies renouvelables, deviennent de véritables nexus d’innovation pour leur ville.

En rétrospective, il est facile de voir l’importance qu’a eue RIM/BlackBerry sur l’écosystème de Waterloo, stimulant l’innovation et servant d’ancre pour la communauté. Un peu comme PayPal en Californie, la présence de RIM à Waterloo a attiré des milliers de talents de pointe dans la région, qui ont à leur tour fondé une nouvelle génération d’entreprises. La présence de Softimage à Montréal a de même attiré dans les années 90 de nombreux talents en effets spéciaux et en modélisation 3D, ce qui a joué un rôle majeur dans la création de notre grappe actuelle de jeux vidéo et multimédia.

À Montréal, on trouve aujourd’hui plusieurs entreprises qui sont sur une trajectoire rapide de croissance dans leur industrie, comme Moment Factory, Lumenpulse, Luxury Retreats et LightSpeed. Le commerçant en ligne Beyond the Rack emploie aujourd’hui 400 employés à Saint-Laurent, tandis que Frank & Oak emploie plus de 100 personnes dans le Mile-End. Ces deux dernières entreprises n’existaient pas il y a cinq ans.

Nos start-ups technologiques sont nos prochains grands fleurons. Nous devons soutenir la croissance de ces jeunes entreprises qui ont le potentiel de devenir des moteurs importants pour notre économie.

Pour assurer la vitalité économique future du Québec et soutenir notre modèle social québécois, il faudra donc continuellement renouveler notre bassin de grandes entreprises ayant leur siège social au Québec, et surtout à Montréal. Montréal a bien des atouts pour les bâtisseurs d’entreprises : une qualité de vie élevée, des loyers raisonnables, la deuxième densité d’étudiants en Amérique du Nord (après Boston) et de la créativité à revendre. Nous devons continuer de travailler à y créer la meilleure plateforme d’affaires pour entreprendre.

Que pouvons-nous donc faire pour promouvoir davantage l’entrepreneuriat au Québec ? Selon moi, les trois ingrédients-clés sont de guider nos meilleurs talents vers nos fleurons, d’encourager nos entrepreneurs québécois à étendre leurs ailes à l’international et de propager une nouvelle culture d’affaires plus entrepreneuriale au Québec. Ces axes seront tour à tour le sujet de mes trois prochaines chroniques.

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