Opinion : Politique américaine

La révolution médiatique de Donald Trump

Aux États-Unis, la politique a réussi aux présidents qui ont compris le pouvoir des nouveaux médias de leur époque.

La radio a permis à Franklin Roosevelt de s’adresser à ses électeurs dans le confort de leur foyer. John Kennedy a charmé l’Amérique et remporté le premier débat présidentiel télévisé. Le petit écran a aussi servi les talents de communicateur de Ronald Reagan, un ancien acteur d’Hollywood. Barack Obama a financé sa première campagne électorale en sollicitant les petits donateurs par internet.

La victoire annoncée de Donald Trump à la prochaine investiture républicaine pourrait marquer une nouvelle révolution dans l’histoire de la communication politique.

L’homme d’affaires a réécrit les règles du marketing politique en provoquant un engouement médiatique inégalé et en inondant les réseaux sociaux.

Les médias sont-ils complices de la réussite inattendue de Donald Trump ? Le candidat qui a transformé son élection en téléréalité doit-il son succès aux médias sociaux ? Des journalistes qui s’estiment coupables font déjà leur autocritique, mais s’attribuent aussi une influence qu’ils ne possèdent plus.

DÉPENDANCE MUTUELLE

Depuis qu’il s’est lancé dans les primaires, Donald Trump a bénéficié d’un avantage médiatique écrasant sur ses adversaires. La télévision câblée lui a consacré 75 % de sa couverture de campagne, alors que la presse écrite lui a accordé 54 % de son espace.

L’aspirant républicain a aussi fait 36 % des manchettes d’actualité aux États-Unis depuis qu’il brigue la présidence. Si le favori se targue de n’avoir dépensé que 10 millions de dollars en publicité payante, l’attention médiatique qu’il a attirée lui a procuré une formidable publicité gratuite évaluée à 2 milliards de dollars, soit deux fois plus que celle générée par Hillary Clinton.

La générosité des médias traditionnels envers Donald Trump est révélatrice de la crise que traverse cette industrie.

Confronté à la concurrence des outils numériques, le modèle d’affaires des chaînes d’information en continu est compromis. La politique spectacle qu’offre le milliardaire constitue par conséquent une valeur refuge pour des médias en difficulté.

La surexposition de Donald Trump est une stratégie rentable qui a fait bondir l’auditoire de Fox News de 40 % et celui de CNN de 170 %. La participation du candidat vedette aux débats sur ses ondes a permis à CNN d’exiger 200 000 $ aux annonceurs pour l’achat d’une publicité, une somme 40 fois supérieure à la normale.

Le prétendant républicain a trompé la vigilance des journalistes qui ont négligé sa candidature. Le Huffington Post a envisagé de couvrir ses débuts politiques dans la rubrique consacrée au divertissement, avant de se raviser. Nicholas Kristof, chroniqueur au New York Times, admet s’être amusé du personnage et avoir découvert trop tard le danger qu’il représente pour la démocratie.

Dans une sortie remarquée, il reproche à sa profession ses ratés à démentir les affirmations erronées du candidat et à faire oeuvre de pédagogie avec les électeurs. Il souligne son incapacité à comprendre la classe ouvrière et à sentir la colère de ceux qui appuient Donald Trump. Il déplore la complaisance des médias qui ont agi en « chiens de poche, plutôt qu’en chiens de garde » à l’égard du meneur.

NOUVEL ÉCOSYSTÈME

Donald Trump n’aurait pas survécu à la politique du XXe siècle, dominée par les establishments des partis, les médias de masse et l’hégémonie des éditorialistes. Mais Nicholas Kristof semble inconscient du nouvel écosystème médiatique qui a donné la victoire à Barack Obama et qui profite aujourd’hui à Donald Trump et Bernie Sanders.

Les médias sociaux ont démocratisé la politique et diminué le pouvoir des hauts financiers sur les campagnes électorales. Avec ses 7 millions d’abonnés Twitter, le républicain ne courtise pas l’élite journalistique et se moque de la rectitude politique. Ses fidèles sont imperméables à la critique des grands médias progressistes ou conservateurs, qui ont perdu leur monopole de la pensée.

Les sympathisants de Donald Trump sont des orphelins politiques qui se croient victimes de l’oligarchie médiatique.

Ils ont cessé de lire les journaux pour lesquels écrivent Nicholas Kristof et les faiseurs d’opinion d’autrefois. Ils développent une pensée sélective qu’ils reproduisent sur la twittosphère en se partageant des contenus qui confortent leurs idées.

Un sondage Gallup a révélé qu’à peine 32 % des électeurs républicains font encore confiance aux médias ; 47 % de l’électorat américain estime que les journalistes ont une opinion biaisée de Donald Trump, contre 23 % pour Hillary Clinton. Une étude rapportée par Vox contredit pourtant cette impression en montrant que le traitement médiatique de la candidate démocrate est plus négatif que celui de son rival républicain.

Le phénomène Donald Trump n’est pas une pure création des médias. Le néophyte a gagné lui même sa notoriété et était connu de 90 % des Américains avant son entrée en politique.

Il doit néanmoins une partie de son succès à sa recette médiatique : il garnit les coffres des grands médias dont dépend sa publicité, mais déjoue les filtres journalistiques traditionnels en trouvant écho dans les médias sociaux. Donald Trump n’a pas accompli de révolution idéologique dans cette course, mais il a peut-être amorcé une révolution médiatique.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.