Chronique : Québec solidaire

Avez-vous lu le programme ?

L’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois à Québec solidaire va peut-être donner un petit élan à la formation politique et augmenter un peu ses appuis.

Mais ça veut dire quoi, au juste, appuyer Québec solidaire ? Qu’on est d’accord avec ses idées ? Qu’on admirait l’engagement de Françoise David ? Qu’on se sent à gauche ? Qu’on veut la souveraineté ? Qu’on en a marre des partis traditionnels ?

Toutes ces raisons peuvent jouer. Mais je suis pas mal certain que la majorité des 323 124 personnes qui ont voté pour Québec solidaire en avril 2014 – 7,3 % des électeurs – ou les quelque 9-10 % qui l’appuient dans les sondages, n’ont pas vraiment d’idée de ce que contient son programme et ne seraient pas d’accord s’ils le connaissaient.

Québec solidaire utilise une foule de qualificatifs pour se définir – solidaire évidemment, de gauche, féministe, démocratique, altermondialiste, écologique, qui ont tous des connotations éminemment positives. Il évite soigneusement le terme socialiste. En soi, se dire « de gauche » reste assez vague. Le NPD se réclame aussi de la gauche, tout comme le PQ. Il serait donc plus précis de dire que QS se situe à la gauche de la gauche.

Mais surtout, l’image publique, largement façonnée par Françoise David et ses batailles admirables pour la justice sociale, ne permet pas de voir que le projet de Québec solidaire est beaucoup plus musclé.

Ce petit parti, attaché aux valeurs démocratiques, n’est pas communiste, mais il est profondément anticapitaliste et propose une transformation radicale de notre système économique qui n’existe nulle part en Occident et qui n’a jamais été tentée sauf dans des pays qui se réclamaient du communisme.

Ces questions vont se poser. Comment le nouveau futur co-porte-parole peut-il espérer élargir la base de Québec solidaire, et même toucher les classes moyennes ? En misant sur son image et en cachant ce programme ? En transformant le programme pour le rendre moins indigeste ? Mais alors, il aura de sérieux problèmes avec ceux qui ont fondé et façonné le parti.

Pour le PLQ, un parti de pouvoir, ce qui compte, c’est la plateforme électorale qui permettra de remporter le scrutin. Pour QS, un parti idéologique, créé pour défendre des valeurs, le programme, c’est très important. Les militants passent des jours et des jours en congrès pour le développer et le modifier. Pour eux, ça veut dire quelque chose.

Voici pourquoi il n’est pas inutile de parler un peu de ce programme, surtout de son chapitre économique, pour avoir une idée du « rendez-vous auquel Québec solidaire convie la population québécoise ». Bien sûr, vous pouvez le lire vous-même en allant au site du parti, mais voici ce que j’en ai retenu.

« Afin de permettre le contrôle collectif et démocratique des principaux leviers économiques du Québec, Québec solidaire entend, à terme, dépasser le capitalisme », peut-on lire dans ce programme revu au printemps 2016. « Québec solidaire vise, à long terme, la socialisation des activités économiques. »

« Dépasser le capitalisme », ou « socialisation des activités économiques », ça sonne assez bien. Mais cela décrit pudiquement quelque chose qui est beaucoup plus fondamental.

« Ce processus de transformation sociale reposera, notamment, sur une économie publique forte (secteur des services publics, société d’État et nationalisation de grandes entreprises dans certains secteurs stratégiques) et sur une économie sociale à promouvoir et à développer (coopérative, secteur communautaire, entreprise d’économie sociale). Une certaine place au secteur privé sera maintenue, particulièrement en ce qui a trait aux PME. »

Le projet, c’est donc le développement du secteur public, des nationalisations massives, un affaiblissement marqué du secteur privé, sauf pour les PME, où il gardera « une certaine place ».

Les nationalisations ne s’arrêteront pas aux grandes entreprises de secteurs stratégiques. Elles toucheront l’industrie minière au complet, tout comme la grande industrie forestière. Elles frapperont aussi le monde financier où on veut instituer une banque d’État pour « concurrencer les banques privées et ainsi fournir des services de proximité et abordables pour la population ».

Et pour assurer le plein emploi, on assistera à « l’expansion de l’emploi public dans les services sociaux, la construction et l’entretien d’infrastructures, l’assainissement de l’environnement ». Avec, comme le veut la tradition, une semaine de 32 heures sans baisse de salaire et la retraite à 60 ans sans pénalité.

M. Nadeau-Dubois a fait des allusions à Bernie Sanders, même si celui-ci, une version américaine du NPD fédéral, est à mille lieues du projet de Québec solidaire. Il a dit croire que le Québec était « mûr pour une proposition de changement social qui est substantielle et significative ». Mais personne ne lui a demandé s’il a bien lu ce programme ni s’il y adhère.

Car il s’est bien gardé de dire que le changement substantiel proposé par le parti qu’il veut co-porte-paroliser nous rapprocherait dangereusement d’un modèle comme celui du Venezuela de Hugo Chavez. Et que derrière l’idéalisme auquel on associe Québec solidaire, il y a aussi une solide dose de dogmatisme.

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