Des idées de grandeur pour la brasserie Molson
Tout d’abord, le site de l’usine Molson est immense. Il occupe une superficie de 12 hectares, soit environ 1,3 million de pieds carrés, entre les rues Papineau, Notre-Dame, de la Commune et les berges du fleuve, en bordure des voies ferrées. Fait à signaler : les étudiants n’ont pas eu accès au site ni aux bâtiments. Mais comme l’explique Anne Cormier, professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal, à l’origine du projet, « avec Google Earth et Google Map, on peut comprendre et déduire des choses même sans avoir des plans ».
Les terrains de la brasserie ont été divisés en six lots pour les besoins de l’exercice. Anthony Harvey a hérité de la portion historique, à l’extrémité est, près du pont Jacques-Cartier, où se dresse le premier bâtiment de la brasserie Molson, érigé en 1786. Le site comprend aussi un immense entrepôt de bière, construit dans les années 20, en retrait de la rue Notre-Dame, et des silos de tôle ondulée. L’étudiant a imaginé un parcours public allant de la rue Notre-Dame au fleuve, comprenant une microbrasserie, des appartements, des espaces de co-travail, des passerelles, une halte touristique et un hôtel dans les silos, en bordure des voies ferrées. « Des chambres, des suites, une salle de réception, ainsi que le restaurant et le bar occupent l’espace généré par les huit silos et deux bâtiments adjacents », explique-t-il.
Une école de formation brassicole ? C’est ce que propose Hakim Lairini-Desjardins, qui a travaillé sur le lot central du site. L’étudiant conseille de démolir la partie inférieure du bâtiment de brique rouge surmonté des lettres MOLSON pour y aménager un grand campus regroupant des activités de formation professionnelle et des commerces axés sur l’industrie brassicole. « Une opération de curetage doit être réalisée sur le bâti existant » pour aérer le site et améliorer l’accès au fleuve, assure Hakim Lairini-Desjardins, qui recommande de détruire certains bâtiments, sans grand intérêt patrimonial, et d’en convertir d’autres en immeubles résidentiels pour les étudiants et les jeunes familles du quartier Centre-Sud.
De son côté, Paloma Castonguay-Rufino propose de faire des ateliers artisanaux dans les trois édifices mitoyens, situés entre la partie ancienne et la partie plus récente de l’usine de bière. « Posez-vous la question : savez-vous où se trouvent les lieux de travail manuel dans votre ville ? demande l’étudiante. Constatez l’évidence : les ateliers sont une denrée rare en milieu urbain. » Sa proposition consiste à réunir sous un même toit une multitude d’artisans qui travaillent à leur compte : ébénistes, bijoutiers, menuisiers, maçons, céramistes, antiquaires, cordonniers, etc. « Ce projet est l’aboutissement d’une réflexion sur le recyclage des bâtiments industriels en ville pour leur permettre d’accueillir à la fois du logement et des usages qui perpétuent le caractère productif des lieux », illustre-t-elle.
Autre idée intéressante : la construction d’un hôtel moderne de 20 étages pour pallier « l’omniprésence de bâtiments monotones sans relief » le long des berges, à l’ouest des terrains de la brasserie. Andrea Bramos estime que ce coin de la ville manque d’activité humaine parce que l’environnement y est peu invitant. Son projet de complexe hôtelier revêtu de panneaux d’acier Inox, appelé Monument 20, comporte un observatoire vitré accessible au public aux étages supérieurs. « Ce lieu permet au public de contempler le pont Jacques-Cartier et le mont Royal depuis un point de vue inédit, fait-il valoir. L’observatoire affirme le contexte spécifiquement montréalais du Monument 20. »
La proposition de Rémy Léonard, elle, consiste à créer un marché public à l’ouest du site, entre la rue Panet et l’ancien entrepôt frigorifique, en réhabilitant l’ancien tunnel Brock, fermé dans les années 70, pour reconnecter le quartier Saint-Jacques au Saint-Laurent. Ce tunnel, faisant 208 mètres de long, a été construit à la fin du XIXe siècle. On le surnommait le tunnel Beaudry parce qu’il était le prolongement de la rue du même nom. Dans le marché public imaginé par Rémy Léonard, il y a des légumes cultivés sur place, une microbrasserie, une fromagerie, une charcuterie, une boulangerie, une pâtisserie et une grande serre sur le toit. « En ayant une mixité programmatique, je souhaite créer une dynamique permettant au marché de fonctionner à tous les moments de la journée et en toutes saisons », dit-il.
Sur la dernière portion du site, comprise entre la rue Notre-Dame, des bâtiments de l’usine Molson, l’ancien entrepôt frigorifique et le faubourg Québec, Kevin Pelletier suggère de créer un centre sportif : patinoire, gymnase triple, piscine, piste de course de 150 mètres, terrain de basketball pouvant servir d’amphithéâtre, etc. « Le développement récent de plusieurs tours de condos dans le secteur des Faubourgs ainsi que le réaménagement des sites de Radio-Canada et de Molson risquent de repeupler ce secteur du Centre-Sud et ainsi augmenter la demande en équipement sportif de qualité », note l’étudiant. Une des particularités de cette zone est l’élévation de la rue Notre-Dame qui devient un pont d’étagement.
Inscrits au programme de deuxième cycle de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, les étudiants qui ont participé à cet exercice avaient carte blanche. « On les a laissés rêver, mais rêver de façon structurée, nuance la professeure Anne Cormier. Certains projets sont près de la réalité, d’autres plus utopiques, mais dans un cas comme dans l’autre, ils peuvent alimenter la discussion. » En avril, l’Office de consultation publique de Montréal tiendra des audiences pour réfléchir au sort des installations de Molson et à l’avenir de l’est du centre-ville. En novembre 2018, la Ville de Montréal s’est voté un droit de préemption sur les lots de la brasserie, qui lui permet d’égaler une éventuelle offre d’achat pour acquérir les terrains.