Magasins de la SQDC

Vendre, mais pas trop

Surtout, ne pas pousser à la consommation. C’est l’impératif qui a guidé la mise en marché de la Société québécoise du cannabis (SQDC). De ce point de vue, c’est réussi. Les magasins et le site internet qui s’ouvrent au public aujourd’hui sont austères à souhait. Reste à voir si ce modèle permettra d’atteindre l’autre grand objectif de la légalisation, qui est de détourner la clientèle du marché noir.

Pas de promotions, ni même de produits à portée de la main. Dans une succursale de la SQDC, il faut absolument passer par un conseiller… dont les conseils sont sévèrement encadrés. Pas question de partager des expériences personnelles susceptibles d’encourager la consommation ou l’achat d’une variété ni de faire la promotion d’un producteur. La création de la SQDC a beau avoir été confiée à la Société des alcools du Québec (SAQ), on est dans un autre monde.

Les nouveaux magasins d’État sont beiges – littéralement, des murs au plafond. Leurs étagères séparées de la clientèle par un long comptoir rappellent les vieilles succursales de la Commission des liqueurs, avant l’arrivée du libre-service. On distingue les emballages, mais c’est bien tout. Hormis les produits du tabac, cachés derrière un panneau dans les dépanneurs, on peut difficilement imaginer mise en marché moins racoleuse. Et c’est très bien ainsi.

Rappelons que Québec, comme les autres provinces et territoires, s’est retrouvée obligée de gérer cette légalisation dictée par Ottawa. Elle aurait pu s’en laver les mains, et laisser les citoyens se débrouiller avec les sites internet légaux du reste du Canada. Ç’aurait toutefois été irresponsable. L’État a le devoir de s’assurer que cette transition se passe le mieux possible, et l’offre fait partie de l’équation. Le gouvernement québécois aurait pu encadrer le secteur privé, il a choisi de s’encadrer lui-même. Sa responsabilité n’en est que plus directe.

Le ton adopté pour cette première phase de légalisation, qui se limite au cannabis à l’état frais, séché et en huile, est donc justifié. Pour la sobriété de la mise en marché, c’est réussi. 

On ne doit cependant pas négliger l’autre grand objectif de la légalisation, qui est de détourner autant de clients que possible du marché noir. Or, ramener l’âge légal à 21 ans, comme veut le faire le nouveau gouvernement de la CAQ, aurait l’effet contraire.

Interdire aux adultes de 18, 19 et 20 ans d’entrer dans un magasin de la SQDC ou de commander sur son site internet ne les empêchera pas de consommer du cannabis. Cela garantira seulement que cette clientèle s’approvisionne uniquement auprès de fournisseurs illégaux, voire criminels, comme c’est le cas actuellement. Un choix irresponsable, et difficilement défendable, de la part d’un gouvernement.

Non, la légalisation ne fera pas disparaître le marché illicite. Mais il y a là une occasion de réduire la taille de cette économie au noir. Il ne faut pas la rater. La légalisation des comestibles, qui viendra dans un deuxième temps, posera un défi encore plus grand. Contrôler ce marché en le confinant aux magasins d’État paraît hautement irréaliste. Les jujubes, chocolats et autres aliments vont quand même se multiplier, et risquent de servir de véhicules à du cannabis de sources douteuses. Mieux vaut encadrer le marché privé que d’en perdre tout contrôle. Il faut commencer à y penser.

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