ornithologie

Un an, 41 pays, 6000 espèces d’oiseaux

À 29 ans, l’Américain Noah Strycker, guide ornithologue, décide d’établir un record inédit : observer 5000 espèces d’oiseaux en un an. Le 31 décembre 2015, après avoir parcouru 41 pays, il inscrivait le chiffre impressionnant de 6042 dans son carnet d’observation. Entretien.

Pourquoi vous être lancé dans pareille aventure ?

Pour de nombreux ornithologues amateurs, ajouter une espèce d’oiseaux à son carnet d’observation dépasse le simple loisir. C’est une dépendance. Je voulais battre le record précédent de 4341, mais cette fois en faisant appel à des birders locaux qui connaissent le terrain. J’ai mis cinq mois à plein temps à organiser ces rencontres. Ces guides sont essentiels. Ils partagent votre enthousiasme, dénichent les oiseaux, sont vos témoins.

Avez-vous connu beaucoup de problèmes de logistique ?

En un an, une seule journée de trouble alimentaire. Mes interlocuteurs parlaient habituellement l’anglais ou l’espagnol. En Asie et en Afrique, quand il y avait des problèmes de langue, on se débrouillait. Nous parlions tous « oiseau ». Le problème était d’observer les espèces recherchées selon les horaires des avions. Mes bagages étaient réduits à un seul sac à dos, et tous les trajets aériens étaient à sens unique. Et puis, j’avais de 10 000 à 20 000 personnes qui lisaient mon blogue quotidien et m’aidaient au besoin.

Combien a coûté l’aventure ?

Mon seul commanditaire était Leica, qui m’a fourni le matériel optique. Mon année a coûté 60 000 $ entièrement financés avec une avance sur les droits d’auteur de mon livre à paraître. Billets d’avion au rabais, hébergement à bas prix, souvent sous la tente. Pas de guides d’identification grâce à internet. Étonnamment, le pays le plus coûteux a été la Tanzanie. J’ai dû organiser mon propre safari : véhicule, guide, logement, etc. Mais dans le sud de l’Inde, on vivait avec 10 $ par jour.

L’expérience a dû être éreintante ?

Ce n’est pas le mot. J’étais sans cesse en déplacement, d’un pays à l’autre, surtout de nuit, car le jour était entièrement consacré à l’observation, souvent dans des conditions difficiles, sous la pluie ou dans la boue. Je me levais toujours au petit matin. Je rédigeais mon blogue et j’envoyais mes photos tard en soirée. À vrai dire, je n’ai pas beaucoup fermé l’œil, parfois durant 36 heures en ligne. Au retour, j’ai dormi durant un mois.

Vos journées les plus « productives » ?

Voici quelques chiffres : 14 janvier, au nord de Buenos Aires, en Argentine, nous avons pu inscrire 108 nouvelles espèces sur les 146 observées au cours de la journée. Ce fut notre record. Jour 104 : au Panama, 186 espèces, record quotidien, seulement 38 nouvelles. Au Pérou : 784 espèces en 3 semaines. En 11 jours, 625 en Équateur, 517 en Ouganda, mais pas plus de 54 en une semaine en Antarctique.

L’oiseau qui vous a le plus marqué ?

Au centre du Brésil, jour 30. Après plusieurs heures d’attente à observer un nid prometteur, voilà une rare harpie féroce mâle transportant un reste de coati. C’est un aigle très impressionnant (un des plus gros qui soient). Puis, en Colombie, ce colibri porte-épée au bec plus long que le corps. Une merveille !

Que retenez-vous de l’aventure ?

Évidemment, c’est l’aventure d’une vie. Mais beaucoup plus que de « collectionner » des oiseaux (listing, en anglais), ce fut la découverte de gens fantastiques et de nouveaux horizons. J’ai aussi réalisé que le birding était en pleine expansion dans plusieurs pays comme la Chine, l’Argentine ou Bornéo. Et si mon record a été battu en 2016 par le Néerlandais Arjan Dwarshuis (plus de 6800 espèces), je sais que mon périple lui a servi de base pour réaliser son exploit.

Une longue liste d’oiseaux

Pour bien des ornithologues amateurs, le nombre d’observations d’espèces d’oiseaux devient une ambition personnelle. La liste prend parfois aussi l’allure d’une compétition. Jon Hornbuckle, expert en métallurgie anglais aujourd’hui retraité, est à la tête du palmarès mondial. Il a observé jusqu’à maintenant 9600 espèces sur les quelque 10 500 que compte la planète. Dans cette liste, Martin Edwards reste le Canadien avec le plus haut score : 8450. Décédé à 85 ans au Brésil, en 2012, lors d’une expédition… ornithologique. Le Québécois Guy Poisson compte 5230 espèces à son carnet. Jean-Pierre Ouellet, lui, détient le record québécois : 426 espèces observées sur les 457 répertoriées.

Des kilomètres en voiture ou en avion

De nombreux amateurs d’oiseaux sont prêts à faire des centaines, sinon des milliers de kilomètres pour voir un oiseau rare et ainsi ajouter un nom à leur carnet d’observation. Certains ont même nolisé un avion pour observer une espèce inusitée. L’an dernier, un Américain participant à un « Big Year » continental (un peu comme Noah Strycker), est parti de l’Alaska pour observer un tadorne de Bellon au Québec. Il y a quelques jours à peine, deux Montréalais se sont rendus à Val-d’Or pour découvrir une colombe à queue noire, espèce du Sud vue pour la première fois au Québec.

Birding Without Borders

Noah Strycker

Houghton Mifflin Harcourt

336 pages (En anglais)

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