Robert Walker au Musée McCord

DÉMESURE À GRIFFINTOWN

Des tours de condos à perte de vue là où, jadis, des maisons de briques étaient sagement alignées. Griffintown a été parcouru par le photographe montréalais Robert Walker qui dresse de ce quartier un portrait plutôt chaotique. L’exposition qu’il présente au musée McCord souligne à grands traits les travers de cette transformation majeure.

Le McCord a lancé un nouveau programme d’expositions photographiques intitulé Montréal en mutation, dans le but de documenter les quartiers en pleine transformation. C’est Robert Walker qui étrenne cette série qui s’étalera sur trois ans. 

Ayant fait ses marques à New York, en Europe et en Afrique du Sud, le photographe de rue a arpenté, en 2018 et 2019, le « chantier » de Griffintown, où les constructions de nouveaux édifices d’appartements en copropriété se succèdent les unes après les autres. Il en découle un ensemble de photographies qui donne une impression de démesure immobilière dans ce territoire qui fut ouvrier, communautaire et industriel, principalement de 1806 à 1963.

Originaire du quartier Maisonneuve, Robert Walker s’est intéressé à Griffintown qu’il ne connaissait pas beaucoup. « Mon défi était de trouver quelque chose de rationnel dans ce que je découvrais et je crois qu’on peut y trouver une certaine logique, dit l’artiste. Mes photos sont comme une chorégraphie, un ballet. Je ne suis pas sociologue, j’ai regardé le quartier du point de vue esthétique. »

Parmi les centaines de clichés qu’il a pris, une vingtaine a été agrandie. On peut apprécier son travail de cadrage, sa façon de façonner l’image comme un peintre, avec subjectivité, mais aussi le souci de dégager plusieurs couches de sens dans chaque photo.

Il s’est attaché à constituer des ambiguïtés visuelles qui appuient sa vision du quartier et peuvent s’apparenter à des abstractions tant elles sont la juxtaposition harmonieuse d’une sorte de chaos.

Des travaux, une usine, une calèche, un poteau électrique, un camion de livraison témoignent, juxtaposés, de l’activité présente et, en même temps, de l’histoire qui s’efface. Un silo abandonné et recouvert de graffitis, une usine désaffectée, des planches, des gravats et une pub de sous-vêtements féminins évoquent ensemble une économie en dents de scie, mais qui ne perd jamais le nord ! 

Les photos de Robert Walker sont des contrastes et des pistes pour tenter de comprendre l’évolution actuelle de cet endroit si emblématique de la ville. La plupart des photos, esthétiquement belles et expressives, rendent compte de l’activité immobilière du quartier, occultant les endroits où le patrimoine a été protégé ou le secteur aménagé avec un réel souci d’aménagement urbain salutaire.

La présidente et cheffe de la direction du McCord, Suzanne Sauvage estime que l’exposition est une réflexion sur le développement immobilier « chaotique et fulgurant » dans Griffintown. « Une transformation que ce quartier subit un peu malgré lui », a-t-elle dit le jour même où La Presse annonçait que « l’effervescence immobilière » allait se propager dans le secteur ouest de Griffintown avec la construction de 300 nouveaux condos.

Lors de la visite de presse, Robert Walker a regretté que la transformation du quartier ait fini par effacer, en fin de compte, son passé. Une observation qu’avait également faite l’éditorialiste de La Presse, François Cardinal, en 2012. « On efface ainsi à la hâte, lot par lot, un important pan de l’histoire de Montréal, sans aucune vision. Sans même une planification ou un encadrement digne de ce nom. »

Cette époque évanouie est illustrée dans l’expo par quelques images d’archives de la collection du musée. Notamment une vue aérienne de Griffintown, quand les maisons des Irlandais s’alignaient, côte à côte, non loin des usines et des quais, formant une communauté tissée serré.

En face de ces photos d’archives, une vidéo de 8 minutes, réalisée l’an dernier par Tomi Grgicevic, décrit le travail de Robert Walker durant ce projet. Trouvant des angles pour faire ses photos. Commentant sa démarche. Immortalisant la dernière écurie de calèches de Montréal ou se promenant sur les fondations de l’ancienne église Sainte-Anne, vénérée par la communauté irlandaise catholique et détruite en 1970 quand le quartier désindustrialisé a manqué d’aides et d’idées pour pérenniser son patrimoine.

« C’est un désastre en termes de planification urbaine. On ne voit aujourd’hui que des gens avec des chiens. Et pas d’enfants. Un quartier qui ne sera qu’une succession de rangées de condos », a lancé Robert Walker, qui regrette la disparition d’une vie communautaire. Des craintes qu’avaient exprimées des citoyens, lors des audiences publiques organisées à la genèse de la transformation de Griffintown, notamment en 2008.

Finalement, il n’est pas anodin que cette exposition soit présentée au musée McCord. C’est en effet Thomas McCord, le grand-père du fondateur du musée, David Ross McCord, qui s’entendit, en 1791, avec les Religieuses hospitalières de Saint-Joseph pour accorder à un tiers un bail de 99 ans, ce qui ouvrit la porte au développement urbain de ce lieu alors en pâture. La femme d’affaires qui fit diviser – en lots et en voies – les terres de ce qu’on appelait alors le fief Nazareth s’appelait Mary Griffin.

Griffintown – Montréal en mutation, par Robert Walker, au musée McCord, jusqu’au 9 août.

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