Joannie rochette

De la glace… à la médecine

Elle avait les mains moites et le cœur dans la gorge. Son père lui avait dit qu’elle ne serait jamais capable. Mais Joannie Rochette était prête.

Après avoir passé la majeure partie de sa vie sur deux lames, l’ancienne patineuse manipule maintenant le scalpel. Depuis deux ans, elle étudie en médecine à l’Université McGill.

« J’ai toujours voulu faire ça, explique Rochette. Ça part d’un rêve de petite fille. J’ai toujours trouvé ça cool de comprendre un peu comment fonctionne le corps humain. »

Ce jour-là, pour son cours d’anatomie, elle était servie. La dissection de cadavres est au programme du premier cycle de médecine à McGill. En une année, tout y passe : muscles, os, organes internes.

« Tu le vois, tu peux le toucher, raconte-t-elle. Spécial. Très beau en même temps. C’est fait dans le respect de la personne qui a donné son corps à la science. On en vient même à développer une relation avec cette personne qui devient un peu notre “enseignant” pour l’année. »

À 31 ans, Joannie Rochette ne se destine peut-être pas à la chirurgie. La médecine générale ou sportive l’intéresse davantage. Reste que ces laboratoires d’anatomie lui ont fait réaliser qu’elle était vraiment dans la bonne branche. Et qu’elle avait bien fait de « changer de monde complètement ».

La médaillée de bronze olympique a mis du temps avant de pouvoir se libérer pour l’entrevue. Sollicitée la première fois à la fin de mars, elle a répondu qu’elle serait libre le 24 avril : « C’est trop fou en ce moment ! »

Elle a finalement remis la rencontre à la semaine dernière, à la fin des cours.

« Je pense que je passe plus de temps à étudier la médecine que j’en mettais à patiner. »

— Joannie Rochette

« À un moment donné, quand tu patines, après trois heures, ton corps n’en peut plus. À l’école, tu peux parfois faire 12 heures d’études consécutives avant un examen », s’étonne-t-elle.

Elle en a bavé un coup. Certains de ses collègues ont des doctorats ou une expérience professionnelle dans un autre domaine de la santé. « Dans les premiers ateliers en petit groupe, je me sentais tellement petite. J’arrivais chez nous en braillant. J’étais découragée. Je me disais : je ne serai jamais capable, ça ne rentrera pas. »

Elle s’est organisée, a fixé des objectifs. Au bout du compte, elle a réussi tous ses cours. « Quand tu es une athlète, tu as la discipline. Mais c’est long avant de trouver la bonne méthode. Il faut travailler. »

Le déclic

Perfectionniste, Rochette l’a toujours été. Au cégep, elle « pétait des scores », mais ne pensait jamais pouvoir s’inscrire en médecine. Trop occupée par le sport, elle a mis presque sept ans avant de décrocher son diplôme, en 2010. Elle croyait que ça la disqualifiait d’office. Au cours des dernières années, les facultés de médecine ont cependant élargi leur bassin de sélection, à commencer par les athlètes en sport-études.

Acceptée à l’Université de Montréal et à McGill, elle a choisi cette dernière parce qu’elle pouvait suivre les cours de son année préparatoire à distance. Cette flexibilité lui a permis de continuer les tournées de spectacles auxquelles elle participe depuis la fin de sa carrière compétitive, en 2010.

Un peu comme Kurt Browning, toujours actif au début de la cinquantaine, Rochette se voyait patiner pendant encore quelques années. En même temps, le circuit, principalement asiatique, commençait à devenir routinier. Sa « courbe d’apprentissage » en patin avait aussi atteint son plafond.

Le déclic est survenu quand un spectacle canadien auquel elle devait prendre part est tombé à l’eau pour des raisons budgétaires. Être à la merci des producteurs et des aléas du marché, d’ailleurs moribond aux États-Unis, l’insécurisait.

« J’avais besoin d’une autre stimulation, de faire autre chose dans la vie. »

— Joannie Rochette

« On dirait que depuis que je suis jeune, je suis la patineuse. Je vais au restaurant, je paye : “Ah oui, c’est toi la patineuse.” J’ai comme une étampe dans la face. »

Une résilience inspirante

Son drame vécu aux Jeux olympiques de Vancouver lui colle aussi à la peau. Des inconnus l’abordent encore, lui disent qu’ils se souviennent où ils étaient quand elle a patiné deux jours après la mort de sa mère. Certains lui offrent leurs condoléances.

« Ça me surprend toujours, ça fait sept ans, note-t-elle. Les nouvelles vont tellement vite aujourd’hui. J’ai été dans l’actualité pendant peut-être une semaine durant les Olympiques. »

Sa résilience a inspiré plusieurs personnes. Elle a rencontré des jeunes qui lui ont écrit, comme cette petite fille de 8 ans dont la mère est morte d’un cancer. « On a parlé de nos mères. Elle était super forte, ça m’a impressionnée. »

Son souvenir des Jeux de Vancouver est « quand même positif », même si elle ne les a pas savourés. Elle songe à ceux qui l’ont entourée dans la tempête, comme son psychologique sportif Wayne Halliwell, un phare qui la faisait rire et avec qui elle est toujours en contact.

« Ça n’a pas été rose. Quand c’est arrivé, j’en voulais à tout le monde. J’étais jalouse des olympiens qui embrassaient leur famille en finissant. J’étais même fâchée après ma mère au début ! “J’ai besoin de toi, maman, pourquoi tu m’as fait ça ?” »

Elle a revu plusieurs fois les images de son programme court, dont elle a fait un montage pour des conférences.

« Parfois, quand j’y repense, je suis contente que ce soit passé. Je ne sais pas si j’aurais la force de le refaire aujourd’hui. »

— Joannie Rochette

Elle cherche encore la bonne façon de raconter ce moment difficile. Les gens veulent de l’émotion, mais elle s’en tient aux faits.

Son père a pris sa retraite. Au début de la soixantaine, il vit toujours à l’île Dupas et se garde occupé en faisant du camping, du quatre-roues, en aidant les voisins. « Ça a été dur pour lui. Il en a tiré une leçon : il profite plus de la vie, je crois. » Quand sa fille hésite avant de s’acheter une nouvelle voiture, il lui dit : « Gâte-toi. »

Elle pense à sa mère encore tous les jours. Elle se demande où elle en serait si elle était toujours là. « Chaque fois que je parlais à ma mère, j’avais l’impression de redevenir une petite fille de 5 ans, dit-elle. “Est-ce que tu es fière de moi, maman ?” Elle était toujours là pour m’écouter, peu importe ce que je faisais. C’est ça le plus dur. »

Rochette chausse encore les patins à l’occasion. Elle va à son ancien club à Saint-Léonard, où elle côtoie les plus jeunes. « Je suis rendue la vieille matante qui vient patiner pour le fun ! » Et pourtant toujours aussi perfectionniste : « Je fais un saut : ah non, c’est pas bon, je le refais… »

Ces jours-ci, elle est au Ghana, en mission pour l’organisme de coopération Right to Play et un programme du gouvernement fédéral pour les jeunes filles.

À son retour, elle fera du bénévolat comme assistante de recherche à l’université. Et dans trois ans et au moins deux autres années de résidence, elle deviendra Dre Rochette.

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