Opinion : Tentative de coup d'État

La tempête ne fait que commencer

Les habitants du pays ont vraiment eu du mal à comprendre, dans la soirée du 15 juillet 2016, qu’une tentative de coup d’État était bel et bien en train de se dérouler. C’était tellement inattendu ; la procédure tellement archaïque et amateure. La tentative a vite avorté, laissant derrière elle 300 morts et une nation stupéfaite.

Dès le lendemain, le gouvernement turc du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002, a lancé une campagne politico-judiciaire pour punir les putschistes. Sous l’ordre du président de la République Recep Tayyip Erdogan, le gouvernement a finalement décrété l’état d’urgence dans tout le pays à partir du 20 juillet, pour une durée de trois mois… renouvelable.

Une mesure nécessaire selon le gouvernement, car le risque d’une nouvelle tentative de coup d’État existerait toujours.

Celui-ci estime qu’il faut agir vite pour éradiquer tous les éléments impliqués dans le soulèvement du 15 juillet, non seulement dans l’armée, mais aussi dans l’ensemble de l’appareil d’État. Le gouvernement montre essentiellement du doigt une confrérie religieuse musulmane, dont le leader, Fethullah Gülen, se trouve en exil aux États-Unis. L’extradition de celui-ci est réclamée, en soulignant que la réponse de Washington aura des conséquences sur les relations turco-américaines.

Il est connu que les membres de cette confrérie, que certains comparent à l’Opus Dei, ont progressivement infiltré l’appareil d’État ces dernières décennies. Ce sont ceux dans l’armée qui seraient passée à l’action le 15 juillet, mais ils n’ont pas réussi à rallier le haut commandement des forces armées ni la population à leur mouvement.

UNE SOCIÉTÉ POLARISÉE

La société turque est extrêmement polarisée depuis quelques années entre les partisans de l’AKP (qui a reçu 50 % des voix lors des dernières élections en novembre 2015) et l’opposition, disloquée entre trois partis représentés au Parlement. Ces derniers ont aussitôt condamné la tentative de coup et réitéré leur attachement au processus démocratique. L’opposition ne manque pourtant pas de rappeler que la confrérie mise en question était, jusqu’à il y a trois ou quatre ans, un allié du gouvernement et accuse alors ce dernier d’avoir longtemps fermé les yeux sur ses activités.

Les partenaires et alliés de la Turquie, pays membre de l’OTAN et du Conseil de l’Europe, mais aussi candidate à l’Union européenne, ont eux aussi condamné la tentative de coup d’État. Mais le gouvernement turc est désormais sous le feu des critiques sur l’étendue des opérations déclenchées contre les putschistes.

Sous le mot d’ordre de « purifier » l’appareil d’État, soit l’armée, la justice et le monde éducatif, des dizaines de milliers de fonctionnaires ont été arrêtés, congédiés ou suspendus en quelques jours. Les capitales occidentales craignent que le gouvernement profite de l’occasion pour renforcer sa mainmise sur le pouvoir. Cette crainte existe, car le bilan de la Turquie en matière de libertés fondamentales n’a pas été encourageant ces dernières années.

ÉTAT D'URGENCE

Sous le régime de l’état d’urgence, les autorités turques auront le pouvoir de décréter des couvre-feux, d’effectuer des perquisitions sans mandat et de prolonger la durée des gardes à vue. Le gouvernement se contente de rappeler que l’état d’urgence est en vigueur dans d’autres pays aussi, notamment en France. Cependant, l’application sera-t-elle la même ?

C’est surtout cette imprévisibilité qui gêne une partie de la population qui n’arrive plus à suivre les développements, l’évolution des événements étant tellement rapide.

Les Turcs se demandent aussi ce que les investisseurs vont penser de cette ambiance. La confiance envers l’économie du pays souffre déjà en raison des attentats successifs qui le frappent depuis un an, soit par le groupe État islamique, soit par l’organisation kurde PKK, considérée comme terroriste par la plupart des pays occidentaux, y compris le Canada.

La présence dans le pays de trois millions de réfugiés syriens représente un facteur supplémentaire d’incertitude politico-économique. Le secteur du tourisme est le plus grand perdant dans ce contexte.

Par ailleurs, l’armée turque, qui jouit d’habitude d’une réputation de discipline, a donné une image de vulnérabilité en raison de cette tentative de coup. Vu l’environnement géopolitique dans lequel se trouve la Turquie, ce n’est probablement ni dans l’intérêt des Turcs ni dans celui de ses alliés que l’armée turque perde sa crédibilité et sa cohésion interne. Il faut s’attendre à des conséquences régionales, sauf si l’armée turque peut rapidement sortir de cette crise majeure.

Dans les rues d’Istanbul, on pourrait se dire qu’après tout, la vie suit son cours normal. Les gens sont à leur travail, les banques sont ouvertes, les transports publics fonctionnent. Le coup d’État est peut-être évité, mais la tempête ne fait que commencer dans les plus hautes sphères de l’État. On n’est qu’au tout début de cette histoire.

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