Alimentation

Un logo pour les aliments malsains

Ottawa va imposer à ceux qui commercialisent des produits riches en gras saturés, en sucre et en sel de l’afficher sur le devant leurs emballages, avec un nouveau logo, le même pour tout le monde. Ce faisant, Santé Canada croit que plusieurs fabricants préféreront changer leurs recettes afin d’éviter cette mauvaise publicité.

« Les membres de l’industrie peuvent éviter le symbole proposé sur le devant de l’emballage en réduisant la quantité de sucres, de sodium et de gras saturés dans leurs produits », estime l’organisme dans ses documents préparatoires.

Les Canadiens ont jusqu’à vendredi pour participer aux consultations en ligne sur cette nouvelle mesure, qui sera obligatoire.

« On est bien contents de cette première étape », estime Corinne Voyer, directrice de la Coalition québécoise sur la problématique du poids, qui a déjà envoyé ses recommandations à Ottawa. Parmi celles-ci, l’importance d’adopter un règlement qui limiterait les autres allégations.

« Il nous apparaît indispensable d’imposer un contrôle des autres symboles référant à la valeur nutritive du produit apposés au-devant des aliments par les industriels. »

— Corinne Voyer

L’idée est donc d’empêcher un fabricant de noyer l’information négative imposée par Santé Canada dans une mer de symboles vantant un riche apport en fibres ou d’autres bienfaits autoproclamés.

Tous les aliments qui contiennent plus de 15 % de la valeur quotidienne maximale, pour chacun des indésirables, sont considérés comme à teneur élevée et porteront le logo. L’industrie alimentaire aura tout de même un délai de cinq ans pour afficher le symbole.

Les fabricants protestent

Malgré cela, des fabricants ont fait part de leur mécontentement à Santé Canada.

« Il est toujours utile de mieux informer le consommateur. Toutefois, nous croyons que la mesure d’affichage sur le devant de l’emballage n’est pas la solution à privilégier et aurait pour effet de se substituer à la consultation du tableau de valeur nutritive par le consommateur », a écrit le Conseil de la transformation alimentaire du Québec, qui représente les fabricants de la province. Le groupe estime que la mesure imposée par Ottawa ne donne pas une idée globale de la valeur des aliments. « La simplification risque d’avoir des incidences pernicieuses à long terme et incitera le consommateur à faire des choix qui ne sont pas nécessairement plus santé », écrit aussi le Conseil.

« Trop de sucre ou de sel peut nuire à la santé, mais un manque de nutriment “autres” peut être aussi dommageable. Il faut informer les consommateurs sur la façon d’évaluer un aliment dans sa globalité. »

— Le Conseil de la transformation alimentaire du Québec

La Coalition québécoise sur la problématique du poids aurait aussi préféré que Santé Canada mette au point un indice global, certes plus compliqué à développer, plutôt que de seulement s’attarder à trois composants nuisibles, soit le sucre, le sel et le gras saturé. Cela donne un portrait partiel d’un aliment, maintient Corinne Voyer, et pourrait faire passer pour mauvais un aliment qui a aussi plusieurs qualités.

Le sucre ajouté 

Cette nouvelle mesure fait partie d’une série d’initiatives annoncées par Santé Canada l’automne dernier, dont le renouvellement du Guide alimentaire et des modifications à l’étiquette nutritionnelle des aliments transformés.

Dans le lot, on a annoncé que tous les sucres seraient regroupés sous le terme « sucre » pour faciliter la vie des consommateurs. Une bonne chose, dit Mary Labbé, du département de nutrition de l’Université de Toronto, qui a calculé que les sucres se présentent sous 152 noms différents sur les produits canadiens.

Il n’y aura toutefois pas de distinction entre les sucres naturels et les sucres ajoutés dans les aliments. Une décision qui a fait bondir plusieurs professionnels de la santé.

En mettant dans la même catégorie le sucre de la pomme et celui des biscuits au chocolat, Santé Canada ne livre pas toute l’information qui permettrait aux consommateurs de faire un choix éclairé, estime la diététiste Catherine Lefebvre, auteure du livre Sucre, vérités et conséquences.

Par exemple, une barre tendre remplie de fruits séchés aura un lourd bilan en sucre et devra peut-être afficher le même logo que sa voisine au chocolat. Les produits laitiers, ceux qui ne contiennent pas de parfum, sont aussi perdants. Un yogourt nature contient plus de 6 g de sucres (pour 175 ml), mais pas une trace de sucre ajouté. Le consommateur n’aura pas cette information dans l’étiquette nutritionnelle.

Les américains Mieux informés ?

Pas au Canada, du moins. Car les États-Unis sont allés dans une autre direction : le contenu en sucre ajouté sera affiché sur les étiquettes, dès l’année prochaine.

« Les consommateurs américains seront nettement mieux informés », estime Catherine Lefebvre, car le contenu en sucre de leurs aliments sera calculé sur une consommation maximale de 50 g de sucres ajoutés. Au Canada, l’apport en sucre d’un aliment sera calculé par rapport à une consommation totale de 100 g par jour.

« Une canette de Coke qui a 40 g de sucre comptera pour 40 % de la consommation de sucre au Canada, explique la diététiste. La même canette comptera pour 80 % de l’apport en sucres ajoutés aux États-Unis. C’est un chiffre qui est pas mal plus impressionnant. »

Qu’est-ce qui se fait ailleurs ?

Royaume-Uni

Le logo canadien n’a pas encore été choisi par Santé Canada. Ceux à l’étude sont toutefois en noir et blanc ; le concept des couleurs de feux de circulation semble donc avoir été écarté. Mary Labbé, du département de nutrition de l’Université de Toronto, le regrette. « Les Canadiens ont déjà beaucoup de mal à utiliser l’étiquette nutritionnelle », dit-elle, citant en exemple le système mis en place au Royaume-Uni et qui utilise les couleurs des feux de circulation. Cela permet, au premier coup d’œil, de comprendre dans quelle catégorie se trouve l’aliment et de faire des choix avisés à l’épicerie, sans avoir besoin de ses lunettes.

Qu’est-ce qui se fait ailleurs ?

Australie

L’Australie a opté pour une autre démarche en mettant au point un système d’étoiles. « Les aliments sont classés d’une demi-étoile à cinq étoiles et sont évalués dans leur ensemble », explique Mary Labbé. Des points sont donc attribués pour le contenu en nutriments positifs, comme les fibres et les protéines. Pour l’instant, la mesure n’est pas obligatoire, mais le gouvernement australien s’est engagé à l’imposer d’ici quelques années. Cela donne le temps aux fabricants d’aliments d’une demi-étoile d’améliorer leurs recettes…

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Qu’est-ce que le sucre libre ?

Plusieurs professionnels de la santé préfèrent s’intéresser aux sucres libres présents dans les aliments transformés, plutôt qu’aux sucres ajoutés. Les sucres libres sont des sucres qui ne sont plus dans leur état naturel. Une orange contient du sucre naturel ; un sorbet à l’orange, des sucres libres. C’est ce concept que préconise le nutritionniste Michel Lucas, qui estime qu’Ottawa fait fausse route en ne faisant pas cette nuance. « Santé Canada nous dit que cette information n’est pas disponible », dit M. Lucas, chercheur au CHU de l’Université Laval. Il est vrai qu’il est impossible de distinguer les deux formes de sucre avec des tests chimiques. Mais en principe, les industriels connaissent leurs recettes, plaide Michel Lucas. 

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Où le trouve-t-on ?

Devant le manque d’information disponible au Canada à ce sujet, l’Université de Toronto a publié l’année dernière une importante étude afin de calculer la quantité de sucres totaux et de sucres libres dans les produits canadiens. L’équipe, dirigée par Mary Labbé, a étudié le contenu de plus de 15 000 produits d’épicerie canadiens pour conclure que 63,5 % des aliments emballés offerts contiennent des sucres libres. Les produits en ayant le plus sont les friandises, les produits de boulangerie, les desserts, les boissons ainsi que les sauces et trempettes.

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