OPINION

ALIMENTS VENDUS DANS LES PHARMACIES
L’Ordre doit jouer son rôle de leader

La semaine dernière, l’Ordre des pharmaciens publiait un énoncé de position incitant les pharmaciens à entreprendre une réflexion sur les aliments vendus dans la partie commerciale de la pharmacie, afin d’assurer une adéquation de l’offre avec le devoir du pharmacien de promouvoir la santé de ses patients et du public.

Il est en effet paradoxal que le pharmacien vende, par exemple, des médicaments destinés au traitement du diabète type 2 à son patient, et que ce même patient ressorte de la pharmacie avec différents aliments à haute teneur en sucre, comme le sont les sodas. Il est aussi paradoxal que certaines enseignes où travaillent des pharmaciens aient leur propre marque de croustilles, à bas prix…

L’énoncé de position de l’Ordre incite à la réflexion et non à l’action. L’Ordre justifie sa timide intervention alléguant qu’il n’a pas le pouvoir de régir les activités du pharmacien liées à l’exploitation de la partie commerciale de sa pharmacie (à distinguer de la partie « pharmacie », où sont vendus les médicaments et autres produits de santé et où seul un pharmacien peut être propriétaire).

Or, un rapide retour sur l’historique lié à l’exclusion du tabac en pharmacie nous permettra d’affirmer que les pouvoirs de l’Ordre sont bien plus vastes que ceux qui semblent lui revenir.

En effet, rappelons qu’au début des années 80, l’Ordre recommandait à ses membres de s’abstenir volontairement de vendre du tabac dans leur pharmacie, incluant la partie commerciale. À l’époque, plusieurs cessèrent la vente du tabac, mais certains refusèrent pour des raisons commerciales. Ainsi, il parut évident pour l’Ordre qu’une simple recommandation ne pouvait suffire à modifier définitivement des pratiques ancrées depuis longtemps.

L’Ordre amorça donc des démarches auprès de l’Office des professions et de divers ministères afin de trouver des moyens légaux de faire cesser ce commerce. En 1991, l’Ordre des pharmaciens proposa au gouvernement d’ajouter un article dans le Code de déontologie des pharmaciens interdisant, de façon directe ou indirecte, la vente du tabac dans une pharmacie ou dans un local adjacent à une pharmacie. L’article ne fut jamais adopté par le gouvernement ni même débattu, pour des raisons qui nous sont obscures.

Les actions de l’Ordre ne s’arrêtèrent toutefois pas ici. L’Ordre entreprit des démarches auprès des parlementaires afin que soit interdite la vente du tabac en pharmacie. Faisant notamment écho à ces revendications, le Code des professions, qui s’applique à tous les professionnels au Québec y compris les pharmaciens, sera amendé en 1994 pour y ajouter l’article 59.2. 

Cet article stipule notamment que nul professionnel ne peut exercer un commerce qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.

Deux mois suivant l’adoption de cet article, une plainte était déposée contre le pharmacien Jean Coutu pour la vente de tabac dans l’espace commercial de sa pharmacie. Cette plainte a mené à une décision de la Cour supérieure, qui a souligné que les devoirs du pharmacien, notamment celui de promouvoir l’intérêt et la santé de ses patients et du public, le suivent constamment, qu’il agisse comme pharmacien ou comme commerçant.

Le pharmacien est et sera toujours un pharmacien.

Ce petit retour en arrière nous permet de conclure que l’Ordre a bel et bien un certain pouvoir d’intervention dans l’espace commercial de la pharmacie, là où on retrouve souvent des produits alimentaires néfastes. Il a d’ailleurs exercé, à l’époque, un véritable rôle de leader ayant mené à l’exclusion du tabac en pharmacie. Nous espérons qu’encore une fois, il jouera pleinement son rôle qui permettra d’assurer la dignité de la profession de pharmacien et ainsi de rendre justice à la qualité et à la valeur des activités de ces professionnels de la santé.

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