Chronique

L’amphithéâtre nordique

L’amphithéâtre de Québec est-il beau ? La question a été posée à Philippe Couillard, lundi dernier.

« Beau… Écoutez… Tout est relatif… »

On a déjà vu réponse plus rapide, plus affirmée, plus emballée. Mais dans le fond, le premier ministre a raison. Lorsqu’il est question de la beauté d’un immense édifice sportif, tout est relatif. Il faut le comparer à d’autres constructions du même type, d’autres stades, d’autres arénas, d’autres paquebots du genre.

Et dites-moi, vous avez souvent été jeté à terre par l’éclatante beauté des amphithéâtres en Amérique du Nord ? Vous êtes souvent revenu de vos voyages sur le continent avec des souvenirs émus d’architecture sportive ?

Ben voilà.

Le Centre Vidéotron n’est peut-être pas aussi original que le Barclays Center de Brooklyn (qui a coûté trois fois plus cher !), mais il se compare très avantageusement aux autres amphithéâtres sportifs.

Il est plus audacieux que l’Air Canada Centre de Toronto, par exemple. Il est bien plus intéressant que le Consol Energy Center de Pittsburgh, qui lui a servi d’inspiration. Et il est 100 fois plus harmonieux que notre pauvre Centre Bell. Hé.

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J’ai transmis les propos de Philippe Couillard sur Facebook cette semaine, et les réponses n’ont pas tardé. Nombreuses. Surtout les comparaisons peu flatteuses. Essoreuse à salade. Soucoupe volante. Colossus de Laval. Détecteur de fumée. Yourte mongole…

C’est de bonne guerre. Même les plus beaux édifices peuvent susciter leur lot de comparaisons. Pensez au « nid d’oiseau », surnom donné au magnifique stade olympique de Pékin, signé Herzog & de Meuron.

Je vous l’accorde, le Centre Vidéotron n’a rien à voir avec ce chef-d’œuvre. Mais soyons de bonne foi, il est à des années-lumière de l’horrible Colossus.

Conçu par ABCP architecture, l’amphithéâtre de Québec ressemble à un « banc de neige ». Et c’est voulu. Le centre a une ambition nordique, pas juste avec un n majuscule. Car l’hiver en est l’inspiration première.

D’où l’impression d’un amas de neige sculpté par le vent. D’où ce long mur de verre dépoli qui évoque les vents et la poudrerie. D’où l’utilisation du bleu et du blanc, qui sont aussi les couleurs du club qu’on rêve de ramener.

« L’amphithéâtre se démarque en offrant une enceinte fluide et une relative ouverture sur l’extérieur, souligne le concepteur en architecture Francis Huneault, qui n’a pas travaillé sur le projet. On a taillé de minces bandes de fenêtres dans une masse lisse et ovoïdale. Ce faisant, on allège les surfaces du stade, lui conférant un profil unique. »

« On peut rire de cette forme, ajoute-t-il, mais au moins, on a essayé quelque chose de spectaculaire et de contemporain. »

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Est-ce qu’on aurait pu faire mieux ? Bien sûr.

On aurait pu faire un concours d’architecture. On aurait pu conserver la façade de l’ancien hippodrome, comme le fait remarquer le consultant en patrimoine Martin Dubois. On aurait pu trouver un site plus urbain que l’ExpoCité de Limoilou. Et on aurait pu se forcer pour mieux intégrer l’amphithéâtre à cet environnement ingrat.

Imaginez : l’entrée est située à l’opposé des mers de stationnements qui bordent le centre. « Peu importent les explications, c’est discutable, estime Francis Huneault. C’est un peu comme si l’entrée principale était derrière la maison et qu’on entrait par la petite porte de côté. »

Donc, oui, on peut toujours faire mieux. Je pose alors la question autrement : est-ce qu’on aurait pu faire mieux… dans les temps et les budgets prévus ? Ah là, j’en doute…

Le projet a été annoncé en septembre 2010. L’entente financière a été signée six mois plus tard. Ce qui ne laissait guère qu’une cinquantaine de mois pour terminer l’amphithéâtre de 18 000 sièges… alors qu’un échéancier classique aurait nécessité plus d’un an supplémentaire. Et un concours, encore plus.

Quant au coût, il y a bien eu recours à une certaine comptabilité créative, mais ne chipotons pas : le projet a été livré sous les budgets, et il n’en est pas moins intéressant. Ce qui, dans le contexte actuel, n’est rien de moins qu’un exploit.

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On est donc loin du prix Citron avec cet amphithéâtre nordique. Un édifice forcément disproportionné, massif, plutôt introverti, mais aussi singulier, harmonieux, symboliquement ancré dans sa ville.

Bref, un édifice cohérent, à la fois avec sa mission et sa situation.

Reste son utilisation… Un critère majeur d’appréciation pour toute œuvre architecturale. Un critère qui n’est pas à l’avantage du Centre Vidéotron, ça va de soi.

Il manque donc un gros morceau, disons. Comme si on avait bâti une belle maison… en oubliant les murs porteurs. Sera-t-il encore debout dans 20 ans ?

On n’a évidemment d’autre choix que de laisser la chance au patineur, ayant tout de même englouti, collectivement, la rondelette somme de 370 millions en deniers publics. On doit donc attendre et croiser les doigts en espérant que cette somme serve son intention première.

Après tout, la qualité d’un édifice dépend de ce qu’on en fait. Au moins autant que sa beauté, toute relative soit-elle.

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