OPINION

SOCIÉTÉ MINIÈRE CANADA CARBON
L’acceptabilité sociale ne se gagne pas avec la menace de poursuites

Cette lettre s’adresse au premier ministre du Québec François Legault et à la ministre de l’Environnement MarieChantal Chassé.

Lundi, à la radio de Radio-Canada, nous avons entendu la ministre de l’Environnement répéter que pour développer un projet, cela prenait l’acceptabilité sociale. Avec le soutien du gouvernement Legault à la grande marche pour l’environnement samedi dernier, cela nous convainc de nourrir l’espoir qui refuse de s’éteindre en nous.

Les citoyens de Grenville-sur-la-Rouge ont reçu un coup de massue vendredi dernier au palais de justice de Saint-Jérôme, quand la cour a refusé de déclarer abusive la poursuite de 96 millions intentée par la société minière Canada Carbon contre notre municipalité. Cela représente 16 fois le budget annuel de notre communauté.

Cette société minière de Vancouver, qui dans les faits menace toujours notre petite municipalité de 2800 âmes, a utilisé un moyen légal, mais totalement immoral, pour échapper à l’emprise de la loi, tout en gardant en place son épée de Damoclès en suspendant temporairement sa poursuite.

Serons-nous poursuivis, oui ou non ? On ne le sait pas. Le poids de cet inconnu est très lourd.

Puis dans sa requête finale, la société minière a également pris bien soin de biffer les noms de tous les individus, membres du conseil municipal, qu’elle avait pourtant mis en demeure en mars 2018, avec la municipalité, pour la somme alléguée de 96 millions en dommages.

Ce stratagème fut suffisant pour amener le tribunal à juger qu’il était prématuré, à ce stade, de conclure à une poursuite abusive. Cela devra être déterminé ultérieurement.

Résumons-nous : en l’état actuel des choses, ce qui a l’air d’une poursuite-bâillon, marche comme une poursuite-bâillon et aboie comme une poursuite-bâillon n’est pas une poursuite-bâillon. Dura lex sed lex (La loi est dure, mais c’est la loi).

Le constat est simple à faire : nos lois ont des trous béants. Ces trous doivent absolument être comblés pour protéger la liberté des citoyens et des élus de s’exprimer librement sur des projets miniers qui touchent leur milieu sans craindre des poursuites de dizaines de millions de dollars.

Fait étonnant, le tribunal n’avait pas à se pencher sur la validité et la véracité des sommes mises en cause par la société minière : d’où tient-elle ces 96 millions de dollars que, par nos taxes et autres impôts, nous lui devrions ?

Si ces sommes sont disproportionnées et irréalistes de l’avis de plusieurs experts, la menace de devoir les débourser un jour est, elle, bien réelle et pèse très lourd dans la perception des citoyens.

Plusieurs se taisent, n’osent plus parler, de peur d’être eux aussi poursuivis par une société minière qui a, de toute évidence, la mèche courte.

Et pour comble d’insulte, la société affirme quand même vouloir préserver son droit de « réactiver » la poursuite de 96 millions. Aujourd’hui victorieuse, elle dit : je tiens le pistolet bien braqué sur votre tempe, mais soyez rassurés, le cran d’arrêt est mis.

Inutile de dire que les citoyens, de même que ces hommes et ces femmes, pères et mères de famille, travailleurs et entrepreneurs, que nous avons portés au pouvoir à la tête de notre municipalité en 2017 pour défendre nos intérêts, ont vécu difficilement les huit derniers mois. Personne n’est rassuré pour la suite, bien au contraire.

Cette poursuite que nous subissons concerne l’ensemble des citoyens et des municipalités du Québec. Si on permet aujourd’hui à Canada Carbon de nous marcher sur le corps, les autres municipalités n’ont qu’à bien se tenir face à d’autres minières qui tenteront, elles aussi, de forcer l’acceptabilité sociale à coup de millions.

M. Legault, Mme Chassé, nous savons votre gouvernement proche des gens. Nous faisons appel à vous aujourd’hui pour nous aider à résoudre l’impasse.

Nous avons déjà un programme pour vous : renforcer la loi contre les poursuites-bâillons afin de protéger également les municipalités de ce genre d’abus (la loi actuelle ne protégerait que les individus).

Il faut aussi revoir l’archaïque Loi sur les mines et la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme du Québec, lesquelles donnent encore beaucoup trop de privilèges aux sociétés minières chaque fois qu’elles ont des problèmes d’acceptabilité sociale. Ces reliques de l’ère coloniale doivent disparaître.

Mais surtout, à court terme, nous vous demandons de constater avec nous sur le terrain qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour le projet minier de Canada Carbon à Grenville-sur-la-Rouge.

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