Éditorial

La cynique

« Montréalais, nous avons entendu votre désir de changement et soyez assurés que je suis là pour rester, pour continuer à incarner ce vrai changement. »

— Mélanie Joly, 3 novembre 2013

À l’automne 2013, Mélanie Joly et ses candidats promettaient de ne pas «  laisser leur ville être victime de l’immobilisme, du cynisme et surtout des scandales de corruption ».

Malgré son programme minimaliste, la candidate à la mairie a terminé deuxième, avec 26,5 % du vote. Elle a profité du désabusement. C’est la meilleure hypothèse, avec peut-être un certain charisme, afin d’expliquer pourquoi les Montréalais ont choisi cette boîte mystère.

La chef proposait de lutter contre le cynisme, mais le remède est devenu le poison.

Durant la campagne, la rumeur circulait : elle se servait de sa candidature pour lancer sa carrière politique fédérale avec les libéraux. N’était-elle qu’une passagère ? Elle l’a nié à répétition.

Après sa défaite, même si elle n’a pas obtenu de siège, elle promettait encore de rester dans son parti et même de se présenter aux élections en 2017.

Puis l’automne dernier, elle quittait la direction de son parti pour se consacrer aux « affaires et à la philanthropie », et publiait l’essai Changer les règles du jeu, un recueil de lapalissades. Ce n’était pas un tremplin pour un saut en politique fédérale, répétait-elle.

La non-surprise a été dévoilée hier : elle briguera l’investiture libérale dans Ahuntsic-Cartierville, dans l’espoir d’obtenir un emploi à la Chambre des communes.

En agissant ainsi, Mme Joly dévalue le rôle de l’opposition municipale, un travail à l’ombre des caméras, frustrant mais essentiel pour surveiller l’administration Coderre. Et en revenant sur sa parole si rapidement, elle dévalue aussi l’image des politiciens. C’est gênant après avoir fait campagne sur une idée, celle de sa personne qui incarnerait le renouveau.

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L’annonce de Mme Joly alimente le cynisme contemporain, celui qui ne croit plus à rien et doute de tout. Celui qui mène au désabusement.

C’est paradoxal, car ce désabusement constituait un terreau fertile pour Justin Trudeau. Plusieurs commentateurs ont critiqué ses idées superficielles. Son discours vague comportait toutefois quelque chose de positif. Alors que le premier ministre Harper divise avec sa vision partisane, le chef libéral promettait de rassembler, de s’inspirer avec pragmatisme des meilleures idées. C’était sa réponse au cynisme. Mais l’idée qui semble le plus l’intéresser depuis quelques semaines, c’est le pouvoir. Deux preuves : l’appui prématuré et opportuniste au projet de loi sur le terrorisme, et le recrutement d’Eve Adams, chassée du caucus conservateur pour sa déloyauté.

Quant à Mme Joly, elle devra d’abord gagner son investiture. Peut-être qu’elle deviendra une porteuse efficace des dossiers de ses commettants. Peut-être qu’elle développera ses idées. Mais pour l’instant, la vision du changement qu’elle incarne, c’est que plus ça change, plus c’est pareil. La roue du cynisme tourne.

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