Planète économique

Vers une nouvelle guerre des monnaies

Lorsque l’économie stagne ou se contracte, les remèdes généralement recommandés sont bien connus : il faut augmenter les dépenses de l’État, réduire les taxes ou abaisser les taux d’intérêt.

Mais si aucune de ces solutions n’est disponible – simplement parce que le budget ne le permet pas ou que les taux sont déjà au plancher –, alors on fait quoi pour sauver le patient ?

L’un des derniers médicaments dans la pharmacie des banques centrales est de dévaluer la devise nationale pour rendre les exportations plus attrayantes. Et quand plusieurs pays font la même chose en même temps, c’est une « guerre de devises », disent les experts.

Nouriel Roubini croit que le monde est au bord d’une grande confrontation monétaire.

Dans une analyse-choc la semaine dernière, le célèbre économiste – surnommé Dr. Doom (Docteur Catastrophe) à cause de ses prédictions notoirement pessimistes – n’aime pas ce qu’il voit sur les marchés financiers.

Dans un environnement marqué par l’endettement élevé des gouvernements et l’austérité budgétaire, « la politique monétaire [lire le taux de change] est devenue le seul outil disponible pour dynamiser la demande et la croissance ».

Certes, plusieurs diront qu’il faut prendre trop au sérieux les prédictions du bon docteur. Sauf que M. Roubini n’est pas seul. La Saxo Bank, première banque danoise, l’institut économique Brookings de Washington et d’autres experts partagent les mêmes craintes.

De l’avis général, un événement a mené le monde au bord de la guerre : la décision récente de la Banque du Japon (BdJ) d’accroître ses injections de liquidités dans le système financier, au rythme de 60 milliards US par mois.

Les manœuvres de la BdJ, annoncées en octobre, sont surtout destinés à affaiblir le yen pour relancer les exportations japonaises et sortir l’archipel de la récession ; une tactique louable mais qui provoque des réactions en cascades en Asie et dans d’autres régions.

Craignant de perdre en compétitivité par rapport aux Japonais, les banques centrales de Chine, de Corée du Sud, de Taïwan, de Singapour et de Thaïlande ont commencé à abaisser leurs taux d’intérêt et à assouplir leur politique monétaire… ou s’apprêtent à le faire.

Il est aussi probable que la Banque centrale européenne (BCE) – qui multiplie les efforts pour affaiblir l’euro – ainsi que les banques centrales suisse, suédoise, norvégienne et d’Europe centrale en fassent autant pour empêcher leur monnaie de s’apprécier, prévient M. Roubini.

Depuis son sommet en mai, le yen a plongé de 17 % par rapport au dollar américain, tandis que l’euro a chuté de 12 %. Faute de pouvoir recourir à d’autres moyens, le Japon et la zone euro espèrent ainsi relancer leur économie désespérément faible et lutter contre la déflation.

JEU À SOMME NULLE ?

Or, les experts ne s’entendent pas sur l’impact d’une baisse des taux de change lorsque plusieurs pays le font en même temps.

Certains estiment que c’est un levier efficace sur le plan économique. D’autres y voient un jeu dangereux, qui attise les tensions commerciales et qui, surtout, s’avère un jeu à somme nulle pour l’économie mondiale.

« Lorsqu’une monnaie s’affaiblit, une autre se renforce nécessairement ; et lorsque la balance commerciale d’un État s’améliore, c’est au détriment d’une autre. »

— Nouriel Roubini, économiste

Bref, les « plus » et les « moins » s’annulent, et on revient à la case départ, tôt ou tard.

Selon l’économiste, une stratégie plus judicieuse pour les gouvernements serait de freiner l’austérité budgétaire – du moins à court terme – et d’investir davantage dans les infrastructures productives.

« Les besoins en infrastructures sont considérables à la fois dans les économies avancées et émergentes [à l’exception de la Chine, qui surinvestit]. En plus, l’investissement public joue à la fois sur la demande et sur l’offre […], ce qui permet de dynamiser la demande globale de manière directe », affirme M. Roubini.

Une chose est certaine, cette guerre des monnaies profite au dollar américain, qui grimpe par rapport à toutes les devises. Reste à savoir si, dans une confrontation monétaire à grande échelle, la Réserve fédérale osera augmenter les taux d’intérêt aux États-Unis, en 2015, si cela accélère la hausse du billet vert et, du coup, nuit aux exportations américaines.

« La guerre ! La guerre ! Ce n’est pas une raison de se faire mal ! », clamait un petit soldat dans le film La guerre des tuques, d’André Melançon.

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