Éditorial Alexandre Sirois

COMMERCE DE DÉTAIL
T’achètes sur Amazon ?
Non, dans ma zone !

La Cordée, véritable institution dans le domaine du sport et du plein air à Montréal, vient de se placer sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

À peu près au même moment, le détaillant d’articles de cuisine Stokes a dû faire la même chose, en annonçant une restructuration majeure.

Deux nouveaux exemples de la crise vécue par de nombreux acteurs du commerce de détail, dont les victimes se multiplient année après année. Et pas seulement à Montréal, partout en Amérique du Nord. Aux États-Unis, on a annoncé l’an dernier la fermeture de plus de 9000 commerces. On y utilise souvent l’expression retail apocalypse (l’apocalypse du commerce de détail) pour décrire l’état actuel des choses.

L’Europe non plus n’échappe pas à la crise. En témoigne une campagne de communication lancée récemment en France pour faire la promotion du commerce local… qui a de quoi nous inspirer !

Là-bas, on a détourné les logos de certains géants américains du numérique afin de stimuler la consommation dans une des régions du pays (Occitanie – Pyrénées-Méditerranée), avec des slogans accrocheurs sans être moralisateurs.

« Au lieu d’acheter en ligne, j’achète dans ma zone. » Sous-entendu : plutôt que sur Amazon ! « J’achète en face à face pour mettre un visage sur les commerçants de ma région », écrit-on aussi, en s’inspirant de Facebook.

Elle est sympathique et efficace, cette campagne. On réfléchit beaucoup ces jours-ci à l’idée de revoir nos habitudes de consommation pour diminuer leur impact sur l’environnement, mais peut-être un peu moins à leur lien sur la survie des commerces locaux.

Pourtant, acheter dans sa « zone », c’est fondamental.

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On ne niera certainement pas que les problèmes des commerçants sont aussi nombreux que divers. Que plusieurs détaillants – dont La Cordée et Stokes – font face à une concurrence particulièrement féroce. Et que certains, aussi, ont du mal à trouver des solutions innovantes pour se distinguer.

On ne niera pas non plus que les commerces avec qui on cohabite à Montréal doivent composer avec une série de difficultés spécifiques allant des nombreux chantiers aux taxes commerciales élevées, en passant par la spéculation qui frappe certaines artères et fait grimper le prix des loyers. Sans compter la concurrence des commerces des banlieues (les raisons de quitter Brossard pour magasiner sur la rue Saint-Denis son désormais moins nombreuses), dont des grandes surfaces d’une efficacité redoutable comme Costco.

Mais justement, toutes ces embûches jumelées au fait que le commerce électronique fait particulièrement mal aux commerçants ne devraient-elles pas nous faire prendre conscience qu’ils ont besoin de plus d’amour ?

Ne devraient-elles pas nous sensibiliser au fait qu’on aurait tout avantage à traiter bon nombre de commerces comme des lieux de rencontre et d’échange qui renforcent le tissu social de nos quartiers ?

Le comble, ce serait de se plaindre de l’aspect déprimant de certaines de nos rues en raison de la disparition des commerces locaux… alors qu’on n’y met jamais les pieds ! Ou encore de se surprendre de l’impact de l’exode des capitaux provoqué par nos achats faits en ligne à l’extérieur du Québec.

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Il y en a, d’ailleurs, des exemples de commerces chouchoutés par les Montréalais. L’automne dernier, notre journaliste Suzanne Colpron a notamment rapporté les succès de la librairie de Philippe Sarrasin, à Verdun. Lorsqu’on l’interroge à ce sujet, celui-ci cite d’emblée « le sentiment d’appartenance des gens envers leur communauté » et le désir « d’encourager l’achat local ».

Bien sûr, cette relation privilégiée ne sera pas nécessairement à sens unique. « Il y a une part de responsabilité qui incombe au commerçant… Tisser des liens avec sa communauté », reconnaît-il.

Il a raison. Sur le plan des prix, rivaliser avec un géant du commerce comme Amazon, c’est l’équivalent de se battre avec un boxeur plus gros et plus puissant que vous. Les commerçants ont tout avantage à trouver des façons de se démarquer autrement.

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On ne niera certainement pas que nos élus ont un rôle à jouer pour protéger nos commerçants.

Pour leur permettre de se battre à armes égales avec les marchands d’ailleurs qui se spécialisent dans la vente en ligne, par exemple. Que ce soit en trouvant de meilleurs moyens de percevoir les taxes de vente ou en aidant les commerces d’ici à prendre le virage numérique.

À la Ville de Montréal, on se démène depuis quelques années (on a réduit les taxes commerciales et mis de l’avant des initiatives utiles) pour soutenir les commerces. Des consultations publiques sur les locaux vacants viennent d’être menées et la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation va dévoiler ses recommandations à la fin du mois de mars.

Il est d’ores et déjà clair que Montréal devra continuer de rendre ses rues commerciales plus attractives et aurait tout avantage à faire preuve de plus de souplesse quant au zonage commercial. À ce sujet, on a évoqué l’idée de permettre « plus de mixité des usages sur les artères commerciales ».

Ceci dit, faire reposer le sort des commerçants uniquement sur les épaules de nos élus serait trop commode. Plusieurs commerçants doivent assurément refaire leurs devoirs pour résoudre certains de leurs problèmes. Leur monde est en profonde transformation. Mais nous avons nous-mêmes, entre nos mains, une partie de la solution.

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