OPINION

AIDE MÉDICALE À MOURIR
Faire le bien

C’était un mercredi matin d’été, une journée de clinique comme les autres. La demande de consultation était comme toutes les autres : une dame très âgée qui a mal au dos.

Mais en discutant avec elle, il est vite apparu que ce mal de dos, dont elle s’accommodait plutôt bien, était loin d’être son problème principal. Ce qui la dérangeait vraiment, c’était cette grande fatigue qu’elle ressentait depuis quelques années, cette perte du plaisir de vivre, car trop limitée par le manque d’énergie.

Elle aurait voulu que sa vie s’éteigne avec un interrupteur « ouvert-fermé » plutôt qu’avec un interrupteur progressif. Cette maladie progressive, qui lui enlevait graduellement ses forces, devenait de plus en plus difficile à porter. Elle attendait la mort avec sérénité, la souhaitait souvent.

En 15 ans de pratique en gériatrie, j’ai souvent rencontré des patients qui ne craignaient pas la mort, qui la souhaitaient même.

Quelques fois, des patients m’ont demandé de les aider à mourir, à abréger cette détérioration reliée à la maladie. La réponse était facile : je comprenais leur souffrance, je m’efforcerais de soulager leur douleur physique et psychologique le mieux possible, je m’assurais qu’ils avaient exprimé leur souhait pour l’intensité des soins à instituer s’ils se détérioraient. Mais abréger directement leur souffrance et leur vie par mes soins, c’était impossible, illégal.

Mais ce mercredi matin de juillet, quand elle m’a demandé directement si je pouvais l’aider à mourir, je n’ai pas pu lui répondre non. Parce qu’en raison de sa maladie progressive, de sa grande souffrance psychologique et de sa perte d’autonomie importante, la réponse était oui. Elle était admissible à recevoir une aide médicale à mourir.

Je me suis souvent exprimé en faveur de l’aide médicale à mourir.

J’ai donné plusieurs conférences et cours sur le sujet, j’ai travaillé à l’implantation de la loi et à la surveillance de son application. Mais c’est ce matin de juillet que j’ai pleinement pris conscience des changements profonds que les lois québécoise et canadienne ont engendrés sur la façon de vivre le vieillissement, la maladie, la fin de vie, et la vie.

Affaibli et souffrant en raison d’une maladie évolutive, je peux prendre le contrôle sur ma fin de vie sans attendre que la mort me prenne inopinément, seul dans mon lit la nuit, ou par suicide en cachette de mes proches. Quand on pense à l’aide médicale à mourir, on pense surtout aux personnes en phase terminale de cancer. Mais le changement profond, il est ailleurs.

Assez régulièrement, des patients que je suis depuis longtemps me demandent si je serai là quand la vie n’en vaudra plus la peine, que la maladie aura pris le dessus, les privant de plaisir et d’autonomie, les menant vers une mort à petit feu.

La très grande majorité ne demandera jamais de recevoir l’aide médicale à mourir, mais de savoir que ce sera possible si c’est leur souhait et que leur condition le justifie, les rassure et les réconforte, leur donne le courage et la force d’endurer la souffrance, et de profiter au maximum de la vie qu’il leur reste.

Se sachant près de la mort, mais ne sachant pas quand ni comment elle arriverait, elle craignait de perdre la tête avant la fin, d’être sévèrement limitée dans son autonomie, mais surtout, elle craignait de mourir seule la nuit, trouvée par une employée de la résidence le matin, ses enfants sous le choc en l’apprenant.

Quelques semaines plus tard, à la suite d’une complication aiguë limitant encore plus son autonomie, sa qualité de vie et son plaisir, y ajoutant une souffrance physique et limitant grandement le temps qu’il lui restait, elle a décidé que c’était le moment. Ce doit être atroce de mourir quand on ne le veut pas, mais vous ne pouvez savoir à quel point j’accueille la mort à bras ouverts, me dit-elle.

En ce matin de fin d’été, quand je lui ai demandé si elle maintenait sa décision et si elle était prête, elle a fermé les yeux et hoché la tête, bien calmement.

Elle s’est endormie juste après que son fils lui eut dit « Merci pour tout, maman ». Et elle est morte en dormant, sans s’en rendre compte. Mais contrairement à sa crainte, elle n’était pas seule. Elle était entourée d’amour et de reconnaissance. Et j’ai senti que c’était bien. Que, comme le demande mon code de déontologie, j’avais préservé le bien-être de ma patiente, dans le respect de sa vie, de sa dignité et de sa liberté.

* David Lussier est associé du Collège royal des médecins du Canada (FRCPC) et gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

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