Littérature

Dans la bulle du Giller

La Montréalaise Madeleine Thien a remporté hier à Toronto le prestigieux prix Giller pour son roman Do Not Say We Have Nothing. L’auteure québécoise Catherine Leroux était aussi nommée pour la traduction de son roman Le mur mitoyen. Elle a vécu cet événement très glamour comme un véritable conte de fées, qui ne se termine pas tout à fait ici, puisque c’est elle qui traduira le livre gagnant pour la maison d’édition Alto. Nous avons suivi les 24 dernières heures du très beau parcours de Catherine Leroux.

Lecture publique et signatures

C’est dans la très belle salle du Koerner Hall, la Maison symphonique torontoise située juste à côté du Royal Ontario Museum, que les six finalistes du Giller se sont retrouvés dimanche après-midi pour leur troisième et dernière lecture devant public. Un écrin de luxe pour un public attentif, venu les entendre lire des extraits de leurs romans puis participer à une discussion animée par le comédien et metteur en scène Albert Schultz. Séance de signatures ensuite pour les six auteurs, qui ont développé une sorte d’amitié à force de se côtoyer dans de nombreuses activités, explique Catherine Leroux. « Ç’a été une des meilleures parties de tout ce que les dernières semaines m’ont apporté », dit-elle, ajoutant qu’il n’y avait pas vraiment de compétition entre eux. « Nous sommes pas mal tous conscients que c’est un peu un coup de dés, pour reprendre l’expression d’Emma Donoghue. Les jurys peuvent être imprévisibles. »

Séance de maquillage

Hier après-midi, on retrouve Catherine Leroux dans la salle de maquillage installée au 4e étage du Ritz. Elle porte déjà sa robe de gala. « J’en ai acheté deux en me disant que je retournerais celle que je ne prenais pas. Finalement, c’est ma fille de 4 ans qui a décidé, elle a choisi celle avec de la tulle et du brillant… » L’ambiance est feutrée, les finalistes se saluent, Catherine Leroux est plutôt zen. « [Dimanche], j’étais stressée, je ne me sentais pas bien. Mais j’ai bien dormi et je me sens prête à juste profiter de la soirée. » Il y a un véritable côté glamour au prix Giller, qui n’a pas d’équivalent dans le milieu littéraire. « C’est incroyable ce qu’ils en ont fait avec les années, c’est généreux, tout le monde attend le Giller maintenant », nous dit Dan Wells, l’éditeur canadien de Catherine Leroux. Mais l’auteure québécoise est surtout marquée par les rencontres qu’elle a faites, et par l’intérêt que les lecteurs canadiens-anglais ont porté à son livre alors qu’elle était une pure inconnue. « J’ai vraiment senti une curiosité. »

Le mur mitoyen/The Party Wall

Paru il y a trois ans chez Alto, Le mur mitoyen est le deuxième roman de Catherine Leroux. C’est sa fascination pour les faits divers qui l’a menée au Mur mitoyen, roman sur la filiation qui s’inspire de trois histoires vraies et qui se déroule un peu partout sur le territoire nord-américain, de l’Acadie au sud des États-Unis en passant par Montréal, San Francisco et les Prairies. Le livre, qui a remporté le prix France-Québec en 2014, a été traduit chez Biblioasis en 2016 par Lazer Lederhendler, qui a remporté à la fin du mois d’octobre le prix du Gouverneur général de la meilleure traduction du français vers l’anglais.

Gérer ses attentes

Dan Wells, dont la maison d’édition Biblioasis est établie à Windsor, a fait le choix de publier de nombreuses traductions, particulièrement de romans québécois. Une décision qui lui a porté chance, car c’est lui qui a édité Arvida de Samuel Archibald, finaliste pour le Giller l’an dernier. Il était de retour au Ritz de Toronto avec Catherine Leroux hier. « Je dois gérer mes attentes », nous a-t-il dit, sourire en coin, quelques heures avant le gala. « Être finaliste au Giller, ça donne une visibilité incroyable, a-t-il expliqué ensuite. Surtout pour les traductions. Ça permet de vendre beaucoup plus de livres et de vraiment lancer un auteur. » Très peu de francophones se sont retrouvés sur la « short list » du Giller depuis sa création en 1994, et aucun n’a gagné. « Je pense qu’il est temps que les lecteurs anglo-canadiens découvrent les auteurs québécois, et un Giller permettrait ça. Ça aiderait à faire le pont entre les deux solitudes », dit-il, ne tarissant pas d’éloges sur l’intelligence, le talent et l’implication de Catherine Leroux, dont il publiera le troisième livre, Madame Victoria, à l’automne 2018.

Le phénomène Madeleine Thien

Née à Vancouver en 1974, Madeleine Thien vit au Québec depuis 2004 et était l’autre finaliste montréalaise au Giller cette année. Son roman, Do Not Say We Have Nothing, est une fresque historique qui fait le pont entre la Révolution culturelle chinoise des années 60, les manifestations de la place Tiananmen de 1989 et le Canada d’aujourd’hui. Récipiendaire du prix du Gouverneur général, Madeleine Thien a aussi été finaliste pour le prestigieux Booker Prize et est devenue en quelques mois la nouvelle star littéraire canadienne. Rencontrée quelques heures avant le gala – « C’est vrai que l’organisation autour du Giller est encore plus glamour que celle du Booker ! », confirme-t-elle –, elle semblait sonnée par autant de reconnaissance. « Heureusement, ça fait 20 ans que j’écris, alors je sais qui je suis. Les prix, ça donne surtout confiance pour la suite. Et c’est extraordinaire pour le livre, qui sera lu par plus de lecteurs que je n’aurais jamais espéré. » Aimerait-elle être plus connue au Québec ? « Personne ne me connaissait au Canada non plus ! », rigole-t-elle. 

Le gala

Diffusé hier soir en direct à CBC, le gala du prix Giller donnait une belle place à chacun des six finalistes qui, après une courte présentation, devaient s’adresser à la chic assistance réunie dans la salle de réception du Ritz, à Toronto. « J’avoue que la première partie du gala, avant de parler, je ne me souviens plus de grand-chose », nous a dit Catherine Leroux à chaud, tout de suite après la cérémonie. Mais elle a pu profiter ensuite de la soirée – « C’était magnifique, et juste être dedans faisait prendre conscience de l’ampleur de cet événement » – et ne se dit pas trop déçue. « J’étais presque convaincue que ce serait Madeleine qui gagnerait. J’ai adoré son livre. Et je vais faire encore partie un peu de tout ça, puisque je vais le traduire ! » Madeleine Thien, de son côté, avait de la difficulté à absorber sa victoire. « Ça va prendre deux ou trois jours pour que ça devienne concret… ou bien une année ou deux ! Je ne me suis jamais attendue à autant de succès, alors c’est très difficile de tout connecter ensemble », nous a-t-elle dit, très émue.

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