Droits des LGBT

« Un autre discours, plus inclusif, est en train de se construire »

Est-ce que l’islam condamne l’homosexualité ? Pas toujours. À contre-courant du discours dominant, des imams gais dirigent des mosquées inclusives et proposent une autre interprétation du Coran.

« La religion a le dos large. Pour moi, cet acte n’avait rien de religieux. C’était un acte fasciste. On attaque une minorité pour faire un exemple et faire peur à la population, et on justifie ça par l’islam. »

Ludovic-Mohamed Zahed ne cache pas sa tristesse. Et encore moins sa colère. Une semaine après les événements d’Orlando, où une cinquantaine de personnes ont été tuées dans une discothèque LGBT, cet imam ouvertement gai fulmine contre celui qui a perpétré cette attaque homophobe au nom de l’organisation État islamique.

Selon lui, le tueur Omar Mateen n’avait rien d’un pratiquant et tout d’un déséquilibré.

« Ce n’est pas de la liberté de conscience, c’est de la haine. Il a détourné le sens des textes », résume M. Zahed.

Fondateur de deux mosquées « inclusives » en France, M. Zahed ne nie pas que le discours dominant dans l’islam condamne l’homosexualité. Certains versets du Coran peuvent être compris dans ce sens, notamment dans les passages sur Sodome et Gomorrhe, où il est question des « turpitudes » de certains personnages commettant des actes contre nature.

Mais ces écrits sont sujets à débats puisque, dit-il, l’homosexualité n’y est jamais clairement nommée.

« D’autres textes disent même le contraire », lance-t-il, en évoquant des textes où le Prophète « protège des hommes efféminés qui n’ont pas de relations sexuelles avec les femmes » et dont on peut par conséquent déduire que l’homosexualité serait tolérée.

Professeur en sciences des religions à l’UQAM, Frédéric Castel va dans le même sens. Si le Coran semble en effet condamner l’homosexualité, cela est fait de façon si « voilée » que plusieurs interprétations sont possibles, selon le point de vue.

« Ce n’est pas clairement nommé. Ceux qui sont plus prompts à condamner l’homosexualité vont dire que c’est clair, et les plus libéraux vont dire que ça parle en réalité de viol. »

— Frédéric Castel, professeur en sciences des religions à l’UQAM

Ce discours d’exclusion n’est pas propre aux musulmans, tient par ailleurs à préciser M. Castel. On trouve en effet des messages très semblables dans la Torah et la Bible, les trois grandes religions monothéistes s’abreuvant toutes à la Genèse, livre fondateur du judaïsme, du christianisme et, par extension, de l’islam.

« Il y avait des condamnations assez claires dans les épîtres de saint Paul », indique-t-il.

Le fait que 75 pays musulmans aient déclaré l’homosexualité illégale renforce certes l’impression que l’islam est plus intolérant que d’autres religions, admet M. Castel.

Mais avec plus de démocratie et plus de stabilité économique, les discours fascistes devraient s’atténuer, ajoute M. Zahed. Il donne ainsi l’exemple de la Tunisie, où l’on trouve l’une des rares associations LGBT du monde arabe, née au lendemain de la révolution de 2011.

LES NOUVEAUX VISAGES DE L’ISLAM

Un sondage du Pew Research Center, réalisé en 2013, confirme que la grande majorité des musulmans (de 67 à 99 % selon les pays) considèrent l’homosexualité comme « moralement répréhensible ».

Selon un autre sondage réalisé en 2011 par le même groupe de recherche, ce chiffre décroît aux États-Unis, où 45 % des musulmans jugent l’homosexualité inacceptable. Un chiffre qui s’élevait à 61 %, quatre ans plus tôt.

Selon M. Zahed, cela montre bien que les perceptions évoluent si le contexte est favorable. Outre Paris et Marseille, il fait d’ailleurs remarquer qu’on trouve des mosquées pro-LGBT en Allemagne, au Danemark, en Allemagne et à Londres.

Au Canada, le réseau des mosquées Masjid el-Tawhid Juma s’inscrit dans cette mouvance progressiste. Ces lieux de culte inclusifs, fondés par El-Farouk Khaki, se disent totalement ouverts aux LGBT, femmes non voilées et autres musulmans désaffiliés qui voient l’islam sous un angle plus inclusif.

Selon M. Khaki, avocat, imam et fondateur de l’organisme SALAAM pour musulmans homosexuels, l’existence même de ces mosquées est la preuve que d’autres courants sont en train d’émerger et qu’il faut faire attention à ne pas généraliser.

« L’islam n’est pas une religion monolithique. Comme dans le christianisme, il y a différentes chapelles et interprétations. Et ces interprétations peuvent varier selon l’époque et le lieu. Est-ce que l’islam fustige l’homosexualité ? Cela dépend à quel musulman tu parles. »

— El-Farouk Khaki

« Mais il y a un autre discours, plus inclusif, qui est en train de se construire, ajoute-t-il, comme il s’en développe dans le christianisme et le judaïsme. »

Tant M. Khaki que M. Zahed reconnaissent que cette conception ne plaît pas à tous. Leurs mosquées ne sont pas reconnues par les grandes organisations musulmanes, quand elles n’ont pas carrément reçu des menaces, comme ç’a été le cas à Paris.

Mais selon M. Khaki, le mouvement prendrait de l’ampleur. « C’est encore petit, mais ça grandit, dit-il. Pour plusieurs personnes, nous devenons le visage de l’islam. Ils trouvent de la résonance dans notre mouvement, et nous ouvrons leurs horizons théologiques. »

Les plus conservateurs ne sont évidemment pas de cet avis. C’est le cas d’Abdallah Zakri, président de l’Observatoire contre l’islamophobie, en France, pour qui ce genre d’initiative est une aberration. De là à prôner la violence, il y a toutefois une marge.

« Personne ne peut empêcher deux êtres de s’aimer. Qu’ils soient gais ou lesbiennes, cela fait partie du domaine privé. Dans les textes sacrés, c’est autre chose. L’homosexualité est naturellement mise à l’index. Mais rien ne dit dans le Coran que celui qui est homosexuel doit être tué. Ça, je suis désolé, ça n’existe pas… »

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