« Optimisation fiscale »

LuxLeaks : d’où viennent les documents ?

LuxLeaks, c’est une série de décisions confidentielles des autorités fiscales (tax rulings dans le jargon) du Luxembourg divulguées par le Consortium international des journalistes d’investigation, dont fait partie Radio-Canada. Ces documents indiquent comment des multinationales – par exemple Disney, Skype et Bombardier – ont réduit de façon légale leur facture fiscale par le biais de sociétés au Luxembourg.

— Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse

Exclusif  « Optimisation fiscale » 

Près de 30 multinationales québécoises présentes au Luxembourg

Bombardier, qui a reçu d’importantes aides gouvernementales au fil des ans, est éclaboussée par la vive controverse fiscale qui ébranle le Luxembourg. Or, la multinationale montréalaise n’est pas seule : au moins 28 entreprises québécoises ont établi des filiales dans le Grand-Duché, a constaté La Presse Affaires.

Le Consortium international des journalistes d’enquête (ICIJ) a divulgué mardi des secrets fiscaux sur 35 multinationales, dont Disney, Skype et Bombardier. Le mois dernier, des renseignements semblables avaient été dévoilés sur 340 autres entreprises internationales.

Dans le cadre des révélations de l’ICIJ, Radio-Canada a rendu public un document rédigé en mars 2010 par le cabinet comptable EY pour le compte de Bombardier et adressé au haut fonctionnaire luxembourgeois responsable des arrangements fiscaux, Marius Kohl.

On y expose une « restructuration de l’activité de financement » de la division ferroviaire du groupe, Bombardier Transport. L’opération comprend le transfert de 500 millions US de Bombardier Transportation Canada Holding à une filiale luxembourgeoise, qui prête la somme à une autre filiale luxembourgeoise. Pour finir, cette dernière consent un prêt du même montant à une filiale américaine établie au Delaware.

Ces opérations complexes sont attrayantes parce que les autorités fiscales canadiennes permettent de déduire en double, c’est-à-dire au Canada et à l’étranger, les intérêts versés sur les prêts consentis par une entreprise canadienne à des filiales étrangères.

Invitée à réagir, Isabelle Rondeau, porte-parole de Bombardier, s’est limitée à dire que « la structure organisationnelle mondiale de l’entreprise est conforme aux lois applicables, incluant les lois fiscales ».

Le Luxembourg est très populaire auprès des multinationales parce qu’il accepte d’imposer à un très faible taux les structures de financement internationales. Et comme Ottawa a conclu une convention fiscale avec le Luxembourg, les entreprises canadiennes peuvent rapatrier ici les profits générés là-bas, généralement sous forme de dividende, sans être imposés à nouveau.

« On ne peut pas être en faveur de ça parce que c’est basé sur de l’artifice. »

— André Lareau, professeur de droit fiscal à l’Université Laval

Le hic, c’est que le recours aux échappatoires fiscales est si répandu au Canada et dans les autres pays qu’il est devenu très difficile d’y mettre fin, malgré les efforts de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

« Le Canada se dit “pourquoi est-ce qu’on irait nuire aux sociétés canadiennes alors que les entreprises ailleurs dans le monde pourraient continuer à profiter de ces stratagèmes ?”, souligne M. Lareau. J’ai un collègue qui est dans cette pratique-là et qui me disait “regarde, tout le monde le fait”. Alors, ne tapons pas seulement sur la tête de Bombardier. »

PRÈS DE UNE SUR DEUX

En effectuant des recherches dans le Registre de commerce et des sociétés du Luxembourg, nous avons découvert que 28 des 60 plus importantes entreprises québécoises possèdent des filiales au Luxembourg. Plusieurs d’entre elles sont logées à la même adresse. Selon les experts en fiscalité, le premier motif justifiant la création d’une filiale luxembourgeoise est l’optimisation fiscale d’opérations de financement, notamment dans le cas d’acquisitions à l’étranger.

« Gaz Métro détient une filiale au Luxembourg permettant notamment, en toute légalité, d’optimiser l’impôt lié à nos filiales américaines », a ainsi déclaré hier une porte-parole de l’entreprise, Catherine Houde.

Éric Vachon, chef de la direction financière du fabricant de produits de bois Stella-Jones, a indiqué que l’entreprise se devait de « maximiser le rendement pour [ses] actionnaires en minimisant [ses] dépenses opérationnelles, administratives, financières et fiscales ».

Son homologue chez le fabricant de robinets industriels Velan, John Ball, a toutefois soutenu que la filiale luxembourgeoise de l’entreprise « ne réduit d’aucune façon les impôts que nous versons au Canada ».

Hugo D’Amours, porte-parole de Cascades, a précisé que la filiale luxembourgeoise de l’entreprise papetière « n’a pas servi à faire transiter des profits d’exploitation ». « Elle n’a pas non plus servi à réduire nos impôts ici puisque nos opérations canadiennes enregistrent des pertes », a-t-il ajouté. Chez Transat, on a affirmé que la filiale luxembourgeoise n’avait aucun « impact fiscal » au Canada.

« Nous avons des gens partout dans le monde, dont une équipe importante au Luxembourg avec des fonctions et responsabilités globales bien réelles, a pour sa part expliqué Raymond Paré, chef de la direction financière de Couche-Tard. Cette équipe sera même amenée à grandir prochainement. »

Dans le cas de CGI, la filiale luxembourgeoise est une unité d’exploitation comptant plus de 200 salariés, a relevé un porte-parole, Sébastien Barangé.

Rappelons qu’en 2007, Ottawa avait proposé d’empêcher la double déductibilité des intérêts pour les entreprises canadiennes qui investissent à l’étranger. À l’époque, le gouvernement avait noté que ce mécanisme faisait en sorte qu’il était « moins coûteux » pour une entreprise canadienne d’investir à l’étranger qu’au Canada.

Or, en 2009, après un intense lobbying des milieux d’affaires, les conservateurs ont fait volte-face et abrogé les modifications annoncées en 2007, qui devaient entrer en vigueur en 2012.

Entreprises québécoises ayant des filiales au Luxembourg

Canadien National

Valeant

Alimentation Couche-Tard

Molson Coors

Saputo

CGI

Gildan

Bombardier

Gaz Métro

CAE

Domtar

TransForce

WSP Global

Stella-Jones

Cogeco Câble

Dorel

Cascades

Uni-Sélect

Fiera Capital

Boralex

Cirque du Soleil

Aldo

Lassonde

Transat

Canam

Tembec

Garda

GLV

Note : Le fait pour une entreprise de détenir une filiale au Luxembourg ne signifie pas nécessairement que celle-ci pratique l’évitement fiscal.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.