Chronique

Et si Bellemare avait visé juste ?

Et si Alain Bellemare avait visé juste, finalement ? Si le défunt ministre Jacques Daoust avait été bien avisé de mettre 1,0 milliard US dans Bombardier en 2016 ?

Car au rythme où vont les choses, Bombardier est véritablement en train de se sortir du merdier dans lequel il était plongé. De s’extirper de la situation de quasi-faillite de 2015, quand le PDG Alain Bellemare est entré en poste.

Hier, le titre boursier de l’entreprise a atteint un nouveau sommet, à 5,33 $, en hausse de 10 % sur deux jours. Depuis le creux de février 2016, l’action est en hausse de 600 % ! Qui l’eût cru ?

Le revirement est tel que des analystes font amende honorable et suggèrent maintenant l’achat du titre. C’est le cas de Kevin Chiang, de la CIBC, et de Noah Poponak, de Goldman Sachs.

Bien des observateurs, dont je suis, ont déploré la cession de 50,01 % du programme C Series à Airbus pour la somme de zéro dollar, il y a huit mois.

Or voilà, la plupart ont oublié l’autre partie de l’équation : la revente automatique de l’autre moitié de la société C Series entre 2023 et 2026.

En étant placée sous le joug d’Airbus, la C Series a vu ses possibilités commerciales s’accroître considérablement, les clients ne craignant plus pour la pérennité de l’organisation. Deux clients ont d’ailleurs signé d’importantes commandes depuis : Egyptair (24 CS 300 en novembre, dont 12 en option) et Air Baltic (60 CS 300 en mai, dont 30 en option).

Ces nouvelles commandes – et celles à venir – accroîtront la valeur de la société C Series. Et ce faisant, le tandem formé de Bombardier et du gouvernement du Québec en tirera parti lors de la vente de leur participation respective à Airbus en 2023 et en 2026.

Rappelez-vous l’entente : Investissement Québec (IQ), bras financier du gouvernement, cédera les 16 % qu’elle détient encore dans la société C Series à Airbus en 2023 à la valeur au marché. Même cession à la valeur marchande pour la participation de 34 % de Bombardier, en 2026.

Avec l’envolée du programme, il n’est pas impossible que ces 49,99 % détenue par IQ-Bombardier vaudront leur pesant d’or.

Autre aspect non négligeable : le gouvernement du Québec détient un bon de souscription qui lui permet d’acheter 100 millions d’actions de la société Bombardier inscrite en Bourse pour la somme de 2,21 $ par action.

À la clôture des marchés hier, l’exercice de ces titres rapporterait au gouvernement un juteux profit de 312 millions. Et il ne faut pas oublier que pour le gouvernement, l’objectif n’est pas de faire de l’argent dans cette affaire, mais de sauver une industrie et des emplois payants, qui rapportent des recettes fiscales.

Pour le moment, on doit se contenter des estimations secrètes d’Investissement Québec pour la valeur de sa participation dans Bombardier. La société d’État juge que son placement continue de valoir près de 1,3 milliard CAN, soit pratiquement autant que la somme qu’elle a injectée en 2016, même si elle a vu sa participation passer de 49,5 % à 16 % depuis. La vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, a déploré, avec raison, de ne pouvoir passer en revue l’analyse qui permet d’arriver à une telle conclusion.

Cela dit, d’autres éléments expliquent l’embellie du titre de Bombardier en Bourse. D’abord, l’entreprise prévoit ne plus devoir sortir de liquidités pour financer ses activités courantes en 2018, un revirement attendu depuis plusieurs années.

Ensuite, les marges de profit dans le secteur du rail augmentent et le nouvel avion d’affaires Global 7500 est en voie d’obtenir sa certification des autorités. Et hier, une nouvelle commande a été passée par Delta Airlines pour 20 biréacteurs régionaux CRJ900, un contrat qui avoisine le milliard de dollars.

Et si Alain Bellemare et son équipe avaient eu raison de prendre de telles décisions depuis deux ans ?

Selon les termes de sa rémunération, le redressement réussi de Bombardier lui vaudrait un paquet de blé. En effet, sa rémunération est principalement composée de titres qui évoluent au gré de la valeur du titre de Bombardier, qui est sur une pente fortement ascendante.

Au 31 décembre 2017, les options d’achat d’action et les unités d’actions non exercées du PDG avaient une valeur marchande de quelque 25 millions CAN, selon la circulaire de la direction de l’entreprise. Hier, à 5,33 $ l’action, cette valeur devait probablement atteindre les 44 millions. Et d’ici 2020, il n’est pas impossible que cette valeur grimpe à 100 millions.

La somme serait colossale, convenons-en. Mais qui critiquera alors le gestionnaire pour sa rémunération hors norme ? Qui donc lui reprochera de toucher autant d’argent, sachant qu’il a peut-être, par ses décisions controversées, non seulement sauvé les quelque 70 000 emplois et le siège social montréalais, mais enrichi les actionnaires de 10, voire de 20 milliards de dollars ?

Le contexte économique mondial peut changer, bien sûr, et Dieu sait qu’il évolue vite avec le matamore Donald Trump. Il reste que ce scénario pour Bombardier n’est plus exclu. Wow !

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