Opinion : Trump au Moyen-Orient

Un triste silence alors qu’il y a tant à dire…

Le Canada, qui aurait dû saluer la réélection du président iranien Rohani, est resté étonnamment silencieux. Certes, il ne s’est pas lancé dans une diatribe « trumpienne » d’appel à l’isolement de la Perse au moment où celle-ci, bravant le pouvoir théocratique, exprime l’espoir d’une population jeune et assoiffée de liberté.

Rohani n’est pas un enfant de chœur et le régime iranien est profondément oppressif. Mais c’est Rohani qui, contre vents et marées, a livré l’accord nucléaire contracté avec les plus grandes puissances de la terre, en dépit d’une forte opposition des forces réactionnaires de son pays et des dénonciations excessives et souvent indécentes de Nétanyahou. Rohani a battu dès le premier tour un opposant réactionnaire et dangereux. Dans un pays que l’Occident décrit comme un monolithe alors que pouvoirs et contre-pouvoirs s’y entredéchirent sous la coiffe d’un dictateur religieux, Rohani a renforcé sa légitimité. Elle en fait un interlocuteur incontournable.

C’est une élection de grande importance que les éclats de Trump à Riyad ont dénaturée.

Il y a deux façons de considérer la région turbulente du Moyen-Orient : soit un ramassis de dictatures (encadrant une démocratie israélienne menacée par des tendances ethnocentriques) au sein duquel on choisit ses acteurs privilégiés ; ou comme un ouvrage nécessitant un travail collectif par les États de la région en coopération avec les puissances extérieures à même de contribuer positivement.

Sur le conflit israélo-palestinien, depuis la tentative Kerry de 2014, sabotée par le premier ministre israélien, l’intérêt s’est dissipé et le sujet est tombé en désuétude dès l’apparition de la menace Daesh. La relance annoncée par Trump sous l’impulsion de son gendre Jared Kushner, dont les connaissances sont à l’aune de celles de son beau-père, et d’un ambassadeur des États-Unis en Israël ardemment partisan de la colonisation, n’augure guère. L’optimisme affiché par Mahmoud Abbas est autant délirant que désolant.

Sur la Syrie, le jeu est entre les mains des Russes avec un vide pour ce qui est de la politique américaine – à part la frappe aérienne sur l’aérodrome d’où avait décollé l’avion syrien responsable des frappes chimiques contre la population civile. Certes, l’administration Trump tente de se réinsérer dans le processus de négociation d’Astana et de Genève et de faire avancer le concept de zones de non-combat, mais l’articulation de la politique américaine reste informe. Les Russes, pour leur part, confortent Assad dans l’espoir d’une reconquête totale de son pays exsangue.

Digne d'une pantomime

C’est alors que vient nous frapper l’image ahurissante d’un Trump se baignant, ravi, dans l’opulence de l’accueil saoudien, d’un monarque absolu, entouré de ses clients lourdement débiteurs pour la plupart, trop contents de montrer que tout va bien dans leurs maisons respectives et heureux de pouvoir compter sur l’armement américain – excellent pour matraquer les citoyens qui oseraient prétendre que leur sort est plus important que le renforcement de la défense contre l’ennemi iranien… Dans un crescendo digne d’une pantomime, on fait croire à Trump qu’il s’agit de la lutte fratricide entre sunnites et chiites que seul Trump 1er, le Munificent, peut faire gagner au camp des bons dictateurs, fidèles alliés de l’Amérique, snobés par Obama mais aujourd’hui redécouverts par le Grand Deal Maker !

C’est exact que Nétanyahou n’a pas exigé l’annulation de l’accord nucléaire avec l’Iran. Il compte sans doute sur une telle détérioration des relations entre Washington et Téhéran, notamment sur le renforcement des sanctions contre l’Iran en réponse au développement des capacités des missiles iraniens et sur la promesse de rendre l’accord plus contraignant, que l’accord en vienne à être miné à plus ou moins brève échéance.

Mais le modèle de réflexion est plus archaïque que jamais.

Plus de 100 milliards de dollars d’armes, pas de politique de rechange, une démarche unimodale parce que réfléchir à plusieurs niveaux d’analyse est trop difficile. Éviter de penser aux masses de jeunes que le Printemps arabe a réveillées mais que l’on a matraquées à l’envi, ignorer le vent démocratique iranien au sein même de la dictature théocratique, vent qui a permis la réélection d’un leader religieux qui a parlé de liberté et dénoncé les excès du régime auquel il appartient mais qu’il ne peut à lui seul refréner – tout cela compte et doit être pris en compte.

C’est un peu cela que notre gouvernement aurait pu dire, sans pour autant déroger à nos valeurs profondes. C’est la reconnaissance d’une troisième voie, difficile et instable, du dialogue à multiples voix, celles de la tolérance et du pluralisme, tant entre sunnites et chiites dont les différences antédiluviennes ont été mises en exergue par des intérêts politiques, qu’entre Palestiniens et Israéliens à condition que celui qui détient le plus de cartes en main fasse le plus preuve de générosité et entre dans l’histoire comme le faiseur de paix plutôt que le briseur de droits.

Accueillir la victoire de Rohani, les yeux bien ouverts, c’est aussi l’encourager à œuvrer pour la paix et la réintégration de son pays dans la communauté internationale, avec les risques que cela comporte, à assumer de part et d’autre. L’Iran n’a pas besoin d’une course aux armements, mais aucun des pays de la région n’en a besoin. Exacerber les tensions n’aura d’autre effet que de diminuer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. Et sur ce plan, l’Iran est le meilleur allié qui soit.

Une fois de plus, on aurait souhaité que notre gouvernement ne se soit pas associé, par son silence, à une vision « trumpienne » du Moyen-Orient où ses problèmes se réduiraient au terrorisme et aux agressions iraniennes sans la moindre compréhension des racines de l’extrémisme

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