OPINION

Encore la SAQ…

Malgré les arguments qui se répètent chaque automne, une société d’État reste la meilleure solution

Je dis souvent qu’il y a deux choses qui vont inexorablement arriver chaque automne au Québec. D’une part, les feuilles vont tomber, et, d’autre part, un professeur, un économiste, un journaliste ou un politicien va proposer la privatisation de la Société des alcools du Québec (SAQ).

Et, la plupart du temps, les arguments utilisés seront incomplets, pour ne pas dire simplistes, tout en reflétant plus une position idéologique que la réalité des faits.

La SAQ a changé fondamentalement depuis 1998, époque où elle aurait peut-être mérité d’être privatisée si elle ne s’était pas engagée dans une nécessaire révolution commerciale. Voici d’ailleurs certains faits qui définissaient la SAQ du temps.

1. Entre 1983 et 1998, la superficie totale des succursales de la SAQ est passée de 1 800 000 à 1 200 000 pieds carrés, une diminution du tiers. Dans bien des cas, les allées étaient si étroites qu’il était impossible que deux paniers s’y croisent. La pensée derrière cette décision : comme les ventes et les profits n’augmenteront pas dans un avenir prévisible, aussi bien alors couper le nombre et la superficie des succursales.

2. Depuis environ 10 ans, les profits nets de la SAQ se situaient aux alentours de 390 millions par année. Selon la théorie du temps, seule l’augmentation de la population pourrait faire augmenter les ventes et les profits.

3. Dans certaines régions éloignées, certains consommateurs devaient conduire plus de 30 ou 40 kilomètres pour avoir accès à une bouteille de vin.

4. Les succursales de la SAQ n’étaient pas ouvertes le dimanche même si la loi le permettait depuis déjà plusieurs années. L’ouverture le dimanche était vue comme une dépense supplémentaire et non comme une source de revenus additionnels ou comme un service à la clientèle.

Je me souviens encore très bien de ma première journée comme PDG de la SAQ en un beau lundi matin du printemps 1998. La haute direction avait travaillé très fort pour me convaincre de la pertinence de continuer dans la même direction. Pendant une réunion de trois heures, on m’a décrit en long et en large les politiques d’achat, de contrôle de qualité, de succursales, de distribution, etc. Après leur présentation, tous attendaient avec impatience de voir ma réaction, pour ne pas dire de recevoir mon approbation.

Ma réponse les laissa bouche bée : « Très belle présentation, mais personne n’a mentionné les mots "clients", "consommateurs" ou "employés", comme si tout ce beau monde n’avait aucune importance. Je pense que la SAQ a la maladie du monopole et notre job est de la guérir. »

L’histoire des 18 dernières années démontre sans l’ombre d’un doute à quel point les changements effectués étaient nécessaires.

Difficile, dans ce contexte, de juger aujourd’hui la SAQ uniquement sur la productivité des heures travaillées au cours des 20 dernières années, car il faut prendre en considération les investissements massifs qui ont dû être faits pour mettre à niveau tout le réseau.

Aujourd’hui, la SAQ est impliquée dans ce que j’appelle la « révolution commerciale 2.0 ». L’efficacité est au menu depuis plusieurs années déjà, le lancement du programme SAQ Inspire démontre son engagement dans le marketing relationnel, et son entente avec la LCBO de l’Ontario et la LCLB de la Colombie-Britannique sur la vente de boissons alcooliques en ligne souligne son avant-gardisme.

Pourquoi alors ne pas proposer un moratoire de cinq ans sur toutes ces propositions automnales de privatiser la SAQ ? Laissons-la terminer sa révolution commerciale 2.0 et si, dans cinq ans, elle n’a pas rempli ses promesses, il sera alors temps de parler sérieusement de privatisation.

Mais d’ici là, mon cœur et ma raison me convainquent qu’une société d’État est encore et de loin la meilleure solution.

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