Télévision séries pour filles

Jeunes et imparfaites

Vendredi d’hiver dans une maison cossue de Laval. En ouvrant la porte, la scène du tournage est frappante. Techniciens et comédiens ont en moyenne 25 ans, sauf Céline Bonnier, qui tient le rôle de la mère de Julie, l’une des héroïnes.

Nous sommes sur le plateau de la deuxième saison de Switch & Bitch, websérie qui incarne la nouvelle vague de fiction réaliste qui intéresse les enfants dits du millénaire, les 18 à 34 ans. Peu à peu à la télé, mais surtout sur le web.

Certains diraient que des séries comme Girls, Quart de vie ou Switch & Bitch sont crues et irrévérencieuses. Des filles – mais aussi des gars – qui la regardent vous diraient plutôt que c’est la vraie vie.

« On fume, on sacre et on boit », lance Sophia Belahmer, qui coréalise et coscénarise avec Juliette Gosselin la websérie diffusée sur TV5 et ICI Tou.tv.

Née d’un court métrage, Switch & Bitch cible les 15 à 30 ans, indique Juliette Gosselin, qui tient le rôle de l’une des « girls » qui se réunissent régulièrement pour une soirée de « switch » de vêtements.

L’une fume en faisant du yoga, l’autre abuse de faux sentiments pour quêter un lift. Dans la première saison, les « girls » réussissent à faire avorter un souper de tapas en banlieue pour se réunir à Montréal.

« On trouvait qu’il y avait peu de shows drôles avec des filles de 20 ans au Québec », indique Sophia Belahmer. En s’inspirant des Invincibles ou de La galère, Juliette Gosselin et elle ont voulu montrer à l’écran « des filles fortes qui ont du caractère ».

« Des filles unies mais très différentes, qui sont capables de rire d’elles-mêmes. »

— Sophia Belahmer, coréalisatrice et coscénariste de Switch & Bitch

Mais surtout « faire un show pour les gens de notre âge ».

« Dans la vingtaine, il y a une certaine désillusion et tu veux des trucs ‟ no bullshit ” », dit Juliette Gosselin, qui n’a pas de télé. « J’écoute la télé sur l’internet. »

Julianne Côté, aussi vedette de la série Le chalet, se plaît particulièrement à tourner Switch & Bitch. « Le plaisir est accru car nous sommes entre amies, lance-t-elle en réchauffant son café au micro-ondes pendant la pause du lunch. J’ai une émotion parfois quand je regarde le plateau de l’extérieur. Nous sommes une belle gang de créateurs qui ont envie de tourner et qui le font. C’est un sentiment de fierté et d’accomplissement. »

Camille Mongeau fait partie de la distribution de Switch & Bitch. Elle est aussi l’instigatrice de la plateforme de diffusion web Coton & Club, où de jeunes vidéastes peuvent mettre en ligne gratuitement des pilotes d’émission et des courts métrages.

« Dans mon entourage, j’ai beaucoup d’amis en réalisation, en scénarisation et des comédiens. Je trouvais qu’il manquait d’opportunités pour travailler outre que de faire des corpos », explique-t-elle.

« Nous créons du contenu original, poursuit la jeune femme. Nous avons deux émissions pilotes. Nouvelle administration sort dans deux semaines et, déjà, des diffuseurs nous approchent, se réjouit-elle. Il y a juste des sacres dans la bande-annonce. Je ne suis pas certaine que cela aurait passé il y a cinq ans. »

Pourquoi cela passe-t-il ? D’abord, car lesdits jeunes sont moins jeunes qu’avant. Ils ont été exposés à de nouveaux contenus. Ils ont assisté à l’avènement des séries télé de grande qualité comme Six Feet Under qui mettent en vedette des personnages imparfaits.

« Les diffuseurs cherchent beaucoup à attirer les 18-34 ans, qui sont difficiles à aller chercher. Il faut des contenus plus originaux et plus crus qui ne sont pas pour tout le monde pour aller chercher un public précis. »

— Camille Mongeau, actrice et instigatrice de Coton & Club

Résultat : les rôles de jeunes femmes sont plus complexes et diversifiés. Exit les archétypes. « Pas des sidekicks, mais des personnages à part entière. Des filles solides, et non des nunuches ou des excentriques. »

RECETTE GAGNANTE

La recette doit être gagnante puisque même la marque de tampons Incognito a commandité à des fins publicitaires une websérie qui a pour titre 1 fois par mois.

Elle met en vedette des femmes humoristes diplômées de l’École nationale de l’humour qui parlent des mésaventures des menstruations, que ce soit au spa ou avec un séduisant plombier qui doit venir déboucher la toilette qui déborde à cause d’un tampon coincé.

Célia Gaudreau fait partie de la distribution. Sportive, l’actrice-humoriste de 25 ans sortira en février une websérie autoproduite baptisée Biceps et soutien-gorge, qui expose deux filles aux clichés des centres de conditionnement physique. « J’aime ce qui parle de féminité avec un petit crunch. Des filles modernes qui peuvent parler de tout et de sexe sans que ce soit vulgaire. Cela nous permet de nous rassurer sur les trucs plates que l’on vit. On se sent moins seul à vivre ceci ou cela. »

CARESSES MAGIQUES

Quand Sara Hébert a été invitée à l’émission de radio de Richard Martineau pour parler de son blogue Caresses magiques, elle a dû défendre l’idée que les femmes soient complètement libérées sexuellement et qu’elles parlent constamment de sexe. « Pas tant que cela. C’est subversif de parler de plaisir. »

Grâce à des initiatives comme Caresses magiques, les tabous sont en train de tomber…

Est-ce normal d’avoir un orgasme en se masturbant mais pas avec son partenaire ? Les filles fontaines existent-elle réellement ? Perdre sa virginité à 22 ans, pis après ?

Voilà le genre de discussions que veulent susciter Sara Hébert, Sophie Bédard et Sarah Gagnon-Piché. Dans leur ancienne émission de radio présentée sur les ondes de CISM, Les Préliminettes, les trois femmes ont constaté qu’elles avaient peu de réponses par rapport à leurs préoccupations sexuelles.

Vu les tarifs élevés d’un sexologue, elles ont décidé de créer le blogue Caresses magiques. Leur appel de textes baptisé Bouillon de poulet pour l’âme pour la vulve a porté ses fruits et a fait l’objet d’un livre vendu à 750 exemplaires. Une distribution énorme pour de l’autoédition.

« C’est un projet éditorial et non érotique, précise Sara Hébert. Je sens que c’est plus accepté à cause d’une série comme Girls. Le personnage de Lena Dunham n’a pas un corps parfait, mais elle multiplie les aventures. »

De quoi décomplexer bien des jeunes femmes.

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