Chronique

Toute la pression sur Drouin

Dans un univers idéal, Jonathan Drouin aurait apprivoisé son rôle chez le Canadien sans sentiment d’urgence. Son talent ne fait aucun doute, mais il n’a que 22 ans. C’est encore bien jeune pour assumer le leadership à l’attaque d’une équipe qu’il découvrira au fil des mois.

Le départ d’Alexander Radulov bouleverse cependant la situation. Du coup, Drouin est propulsé meneur de jeu aux côtés d’un Max Pacioretty qui fonctionne par bourrées, et dont l’efficacité en séries éliminatoires reste à démontrer.

Dimanche, alors qu’il attendait avec peu de confiance la réponse de Radulov à son ultime proposition, Marc Bergevin a démontré l’immensité des attentes envers Drouin. Évoquant les sommets qu’il pouvait atteindre, le DG a déclaré : « Son plafond est élevé. Je suis confiant qu’il pourra combler le manque si Radu ne signe pas. »

On dit parfois qu’à Montréal, les amateurs et les journalistes sont très exigeants envers certains joueurs. Dans le cas de Drouin, Bergevin place lui-même la barre très haut.

Radulov a été un des meilleurs joueurs du CH en saison et a éclipsé tous les autres attaquants en séries. Un vétéran aussi doué ne se remplace pas facilement. Drouin possède les atouts pour connaître une carrière étincelante dans la LNH, mais il existe un danger à lui imposer dès le départ des responsabilités colossales. La présence de Radulov, un autre excellent fabricant de jeux, lui aurait valu d’être mieux entouré.

La bonne nouvelle, c’est que Drouin semble avoir le coffre pour relever le défi. Il n’en reste pas moins que le Canadien a raté une belle occasion en ne parvenant pas à s’entendre avec Radulov. On peut comprendre le refus de Bergevin d’accorder un contrat de six ou sept saisons à un joueur de 31 ans, revenu à la LNH l’été dernier après un long séjour en Russie. Son niveau de motivation demeurera-t-il le même après avoir empoché un gros lot ? Le poids des années le rattrapera-t-il bien avant l’expiration de sa nouvelle entente ? Ces interrogations valables expliquent la prudence du DG.

L’ennui, c’est que le Canadien ne possède pas les ressources pour jouer ses cartes de manière conservatrice. L’équipe manque de punch à l’attaque. Résultat, ses parcours éliminatoires ont pris fin trop vite en 2015 et en 2017.

Voilà pourquoi l’arrivée d’un joueur dynamique comme Drouin est emballante. Mais l’impact aurait été décuplé si cet ajout avait renforcé les éléments déjà en place. La perte de Radulov efface cet avantage. L’attaque du Canadien manquera encore de diversité la saison prochaine.

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En respectant les limites qu’il s’était fixées dans le dossier Radulov, Bergevin s’est comporté en bon gestionnaire de masse salariale. Sa décision fait en sorte que l’organisation aura plus de latitude au cours des prochaines années. Bravo. Mais sur le plan purement sportif, les conséquences risquent d’être désastreuses la saison prochaine.

Le Canadien évolue dans une division où la concurrence est féroce. Les chances que l’équipe se sauve avec le championnat de division comme la saison dernière sont minuscules.

On connaît maintenant le principe de Bergevin, si souvent répété : une fois en séries, tout devient possible. Mais encore faut-il s’y qualifier ! Et puisque la lutte promet d’être sans merci, la décision du gros attaquant russe éloigne le CH de cet objectif.

La perte de Radulov passerait mieux si un plan B existait pour bonifier l’attaque. À moins d’une immense surprise, ce n’est pas le cas. Bergevin l’a implicitement confirmé dimanche : « On n’inventera pas des joueurs qui ne sont pas là... »

Le DG a ensuite évoqué le remplacement « par comité », ce qui m’a rappelé les années où les Expos n’alignaient pas de releveur numéro un. Au camp d’entraînement, le gérant évoquait alors cette même théorie du « travail par comité ». Tout ça se traduisait généralement par un retard de 12 matchs sur la première position à la mi-saison...

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Peut-on en vouloir à Radulov d’avoir fait faux bond au CH ? Pas du tout ! Et cela, malgré le chassé-croisé ayant fait surface hier à propos des négociations.

Bergevin a pris un risque en l’embauchant l’été dernier, et son audace a été payante. Mais l’attaquant russe l’a imité en acceptant un contrat d’une seule saison. Il voulait prouver sa valeur et ensuite toucher le gros lot. Son plan a fonctionné et on ne peut pas l’en blâmer. Les joueurs aussi ont le droit de se comporter en gens d’affaires avisés, pas seulement les directions d’équipe.

Ce n’est pas tout : le CH a eu toutes les chances de s’assurer de ses services, profitant d’une longue fenêtre exclusive de négociation. L’occasion de prolonger son séjour à Montréal était là. Pas question ici « d’inventer » un joueur, mais plutôt de conserver un gars rendant l’équipe meilleure.

Sur le plan du spectacle, on regrettera aussi Radulov. Le Canadien a si peu de force de frappe en attaque que la priorité sera de nouveau donnée au jeu défensif. L’embauche du défenseur Karl Alzner confirme que le CH misera encore sur un style prudent.

Un point positif : Charles Hudon aura toutes les chances de mériter un poste avec l’équipe. Bergevin a mentionné son nom à quelques reprises lors de son point de presse de dimanche. C’est donc dire que l’organisation compte enfin sur lui.

Alors adieu, Alexander Radulov. Les yeux se tournent maintenant vers Jonathan Drouin. À lui d’en mettre plein la vue.

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