santé

Une nouvelle étude sur la rémunération des médecins québécois risque de relancer un débat houleux.

Chronique

Nos médecins parmi les mieux payés au monde

Les conclusions limpides d’une nouvelle étude risquent de relancer un débat houleux : nos médecins sont nettement surpayés.

En fait, non seulement ont-ils rattrapé le reste du Canada, mais nos médecins sont aussi désormais parmi les mieux payés au monde, selon l’étude de l’Institut du Québec. Si leurs émoluments devaient être conformes au niveau de richesse relatif du Québec par rapport au reste du Canada, la facture annuelle pour l’État s’en trouverait allégée de 870 millions de dollars, rien de moins !

L’auteur de l’étude, vous le connaissez, est l’économiste Alain Dubuc, ex-chroniqueur et éditorialiste de La Presse, maintenant professeur à HEC Montréal. Dans son analyse de 53 pages, son approche est analytique et appuyée. Le ton est loin de celui des chroniques souvent tranchées qui le caractérisait dans ses dernières années à La Presse.

Tenez, pour comparer la paye des médecins, Alain Dubuc a présenté deux méthodes distinctes, en expliquant les limites de chacune et les raisons pour choisir la seconde, en y ajoutant une perspective historique. Trois indicateurs distincts ont été passés au crible pour comparer la richesse relative du Québec, qui démontrent qu’elle se situe entre 83 % et 89 % de celle du reste du Canada, ce qui devrait être reflété dans la paye des médecins (1).

Premier constat : la paye des médecins du Québec a largement rattrapé le reste du Canada, compte tenu de notre richesse relative. Les médecins du Québec reçoivent en moyenne 328 000 $ ou 392 000 $ selon les deux méthodes utilisées, ce qui correspond à 96 % ou à 105 % de la moyenne canadienne, bien au-delà de notre richesse relative.

Alain Dubuc juge la comparaison d’autant plus intéressante que l’organisme qui produit les données, soit l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), a corrigé une importante lacune dans sa méthodologie pour la seconde méthode.

Depuis janvier 2019, les données de l’ICIS incorporent non seulement les paiements à l’acte à cette méthode, mais aussi les autres formes de rémunération des médecins, ce qui permet d’avoir un portrait plus complet. Le paiement à l’acte ne représentait que 44,5 % des revenus des médecins de famille en 2017 – dernière année dont les données sont accessibles – contre 72 % au Québec, ce qui faussait les comparaisons pour ces omnipraticiens.

À ce sujet, justement, l’étude tire un deuxième grand constat : ces médecins généralistes, plutôt épargnés par rapport aux spécialistes dans le débat, gagnent bien davantage qu’on ne l’aurait d’abord cru.

En 2017, le paiement brut moyen versé aux généralistes québécois s’établissait à 260 693 $, selon la première méthode tirée des données de l’ICIS. Ce paiement est en forte progression dans le temps, note l’auteur, et représente 94 % de la moyenne canadienne. Toutefois, il ne tient pas compte de la semaine de travail plus courte d’un grand nombre de médecins au Québec.

La seconde méthode, qui compare la rémunération des médecins en équivalent à temps plein, est plus représentative. Pour un travail à temps plein similaire, l’ICIS juge qu’un médecin de famille québécois a gagné ainsi 344 214 $ en 2017, contre 297 627 $ en Ontario et 321 340 $ pour la moyenne canadienne.

L’écart est de 16 % avec l’Ontario et de 7 % avec la moyenne canadienne, écart qui s’ajoute à notre richesse relative moindre au Québec. Et cette rémunération place le Québec au deuxième rang canadien, juste derrière l’Alberta.

Pour les médecins spécialistes, en revanche, la nouvelle méthode de l’ICIS a pour effet de dégonfler un peu leur rémunération, à 441 180 $, qui se situerait alors à la moyenne canadienne, et même au septième rang des neuf provinces comparées.

Troisième grand constat : Alain Dubuc note que la paye des généralistes canadiens vient au cinquième rang de 23 pays industrialisés comparés et celle des spécialistes, au troisième rang de 31 pays comparés. Et qu’autrement dit, les médecins québécois sont parmi les mieux payés au monde !

Les comparaisons mondiales sont fort difficiles à faire, et les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques le démontrent bien. Après déduction des frais de cabinet et en tenant compte du pouvoir d’achat différent, par exemple, un spécialiste gagne l’équivalent de 231 005 $ US au Canada, contre 219 425 $ US en France et 154 146 $ US en Israël. Au Royaume-Uni et en Suède, où les médecins sont salariés, la rémunération est plutôt de 163 647 $ US et de 99 154 $ US.

Pour les médecins de famille, la paye comparable équivaudrait à 139 561 $ US au Canada, contre 131 259 $ US en France, 145 243 $ US au Royaume-Uni et 101 867 $ US en Australie.

En revanche, nos médecins sont nettement moins payés qu’aux États-Unis : l’écart avoisine les 27 %. Justement, le chercheur note que les forts émoluments de nos médecins s’expliquent entre autres par la proximité des États-Unis, où nos diplômes sont reconnus. Il constate néanmoins, chiffres à l’appui, qu’il n’y a pas d’exode canadien vers les États-Unis – encore moins du Québec – et qu’à cet égard, il faut craindre davantage les conditions de recherche et de pratique des médecins aux États-Unis que la rémunération.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) conteste les choix méthodologiques d’Alain Dubuc. Avant de tirer des conclusions, son porte-parole, Jean-Pierre Dion, suggère d’attendre le rapport commandé par le gouvernement du Québec à l’ICIS, qui utilisera de nombreuses méthodes de comparaison et qui balisera mieux le réel travail des médecins d’ici. « Le rapport révélera un portrait bien différent », dit-il.

Le rapport, auquel ont participé la FMOQ et la Fédération des médecins spécialistes du Québec, était censé être publié en septembre, mais a été retardé pour tenir compte de certains nouveaux ajustements méthodologiques.

(1) L’auteur a également pris soin de décortiquer la productivité de nos médecins, de comparer le coût des services médicaux, de tenir compte de la féminisation plus grande de la profession au Québec sur le temps de travail et de rappeler la part que les dépenses des médecins occupent dans le budget de chaque province, entre autres.

Santé

Du retard dans les négociations avec les médecins spécialistes

Québec — Les négociations entre le gouvernement Legault et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) accusent du retard. Loin d’être devancée comme le voulait le gouvernement Legault, l’étude comparative pancanadienne sur la rémunération des spécialistes est retardée. Le dépôt de ce rapport, qui doit servir de base aux pourparlers, est repoussé à la fin de l’année, voire au début de 2020, a appris La Presse.

Cette étude a été commandée à l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Elle devait être produite avant le 1er septembre, mais l’ICIS a besoin de prolonger le délai, d’environ quatre mois, pour la terminer. En l’absence de ce rapport, les pourparlers ne peuvent être lancés officiellement, bien qu’il y ait des échanges entre les parties en ce moment, confirme-t-on au cabinet du président du Conseil du trésor, Christian Dubé.

La négociatrice en chef du gouvernement est Édith Lapointe qui, avant de se retrouver au Trésor en 2014, a travaillé au ministère de la Santé. La FMSQ est désormais représentée par Me Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec.

En campagne électorale, la Coalition avenir Québec (CAQ) a promis de réduire la rémunération des médecins spécialistes. M. Legault disait qu’ils gagnaient en moyenne 80 000 $ de trop par année lorsqu’on compare leur rémunération avec celle de leurs collègues de l’Ontario, en tenant compte du coût de la vie.

Au total, ses « estimations préliminaires établissent à 1 milliard par an la rémunération versée en trop », peut-on lire dans le cadre financier de la CAQ.

La Presse a révélé en février que ce milliard avait fondu, car l’écart salarial entre les médecins québécois et ontariens a diminué, si l’on se fie aux données comparatives utilisées par la CAQ pour faire ses calculs. À Québec, on convient qu’il ne sera pas possible de récupérer 1 milliard de dollars, mais on vise tout de même plusieurs centaines de millions.

Le premier ministre François Legault ne chiffre plus ses demandes sur la place publique. « Ce n’est pas simple, comparer la rémunération des médecins entre les provinces. Il y a une question de volume, il y a une question de la façon de travailler, est-ce qu’un médecin de famille travaille surtout à l’hôpital, surtout en clinique privée ? Quels sont les frais qui sont assumés pour ceux qui sont en clinique privée ? Donc, on est encore malheureusement à l’étape d’avoir le résultat des comparaisons », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse hier.

M. Legault a réitéré qu’il était « inéquitable » que les médecins du Québec gagnent plus que ceux de l’Ontario, alors que ce n’est pas le cas pour les autres professionnels.

Une autre étude pour les omnipraticiens

Quant aux médecins omnipraticiens, l’ICIS doit aussi produire une étude comparative, en vertu d’une clause peu connue de l’entente entre leur fédération et le gouvernement. Elle devait être prête le printemps dernier, mais on l’attend encore à Québec. Si l’étude montre un écart de rémunération, à l’avantage ou non des médecins de famille québécois par rapport à leurs collègues du reste du Canada, des négociations doivent être entreprises pour le résorber, selon l’entente. 

Or le gouvernement et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec ont décidé de suspendre les pourparlers sur le sujet. Les négociations débuteront uniquement après la conclusion d’un autre dossier : la création d’un système de capitation. Selon ce système, plutôt que d’être rémunérés principalement à l’acte, les médecins de famille seraient plutôt payés en fonction du nombre de patients suivis. Il faudra au moins un an pour mettre en place ce système.

— Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse

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