Rwanda

Après quatre ans de prison, elle persiste et signe

La journaliste rwandaise Agnès Uwimana Nkusi a retrouvé sa liberté, cet été, après quatre ans d’emprisonnement. Son crime ? Avoir écrit des articles critiques à l’égard du gouvernement, ce qui lui a valu d’être reconnue coupable de « diffamation » contre le président Paul Kagame et d’« atteinte à la sûreté de l’État ». La Presse l’a rencontrée à Kigali quelques semaines après sa sortie de prison.

KIGALI — Sitôt sortie de prison, sitôt remise au travail. Agnès Uwimana Nkusi n’a pas l’intention de baisser les bras. Écrouée pendant quatre ans pour ses articles critiquant le régime de Paul Kagame, la journaliste rwandaise a repris la plume au cours de l’été.

« Nous n’allons pas changer notre ligne éditoriale, nous allons continuer de critiquer le gouvernement, explique d’une voix douce et posée la petite femme de 38 ans, veuve, dont les écrits ont soulevé l’ire du pouvoir en place à Kigali. Nous allons nous mettre à la place de la population. Nous allons être l’œil qui surveille l’État. »

« Il y a des choses qui vont bien [au Rwanda], mais il y en a aussi qui ne vont pas bien, dit-elle. Quelques personnes essaient de mettre leurs forces en commun, mais on les sépare. On les met en prison, les autres se réfugient à l’étranger, d’autres rejoignent le parti [du président] pour protéger leur sécurité. Les médias ne parlent pas de l’opposition, car il n’y en a pas. »

« Oui, le Rwanda va mieux, mais tous les enfants ne vont pas à l’école, certains doivent aider leurs parents qui sont trop pauvres », illustre-t-elle. 

Libérée le 18 juin, Agnès Uwimana Nkusi venait de passer quelques semaines à l’hôpital quand La Presse l’a rencontrée, chez son avocat, dans un quartier populaire de Kigali. Elle mettait la dernière touche au prochain numéro de son journal, Umurabyo (« éclair », en kinyarwanda, la langue maternelle des Rwandais), le premier depuis quatre ans.

L’hebdomadaire qu’elle dirige est publié en kinyarwanda et distribué dans tout le pays, mais avec ses 5000 exemplaires, il est bien petit par rapport au quotidien d’État Imvaho Nshya ou au journal progouvernemental de langue anglaise New Times.

C’est en Ouganda qu’il doit être imprimé, « parce que la seule imprimerie du Rwanda appartient en partie à l’État », déplore son avocat, Me Évariste Nsabayezu, également vice-président de la Ligue pour la protection des droits de l’homme au Rwanda (LIPRODHOR).

DÉTENTION « INJUSTE » ET « ARBITRAIRE »

Incarcérée le 8 juillet 2010 pour « incitation à la désobéissance civile », « divisionnisme » et « négation du génocide » après avoir écrit un article sur les causes du génocide et évoqué la thèse du double génocide, Agnès Uwimana Nkusi devait à l’origine passer 17 ans derrière les barreaux.

« Les ethnies existent, mais si on en parle, on est accusés d’idéologie génocidaire », soutient la journaliste.

En 2012, au terme d’un nouveau procès, la Cour suprême du Rwanda l’a reconnue coupable d’« atteinte à la sûreté de l’État » et de « diffamation » à l’égard du président Paul Kagame et a réduit sa peine à quatre ans d’emprisonnement – une détention néanmoins jugée « aussi injuste qu’arbitraire » par Reporters sans frontières.

« Si Agnès était un homme, elle n’existerait plus. »

— Me Évariste Nsabayezu, avocat d’Agnès Uwimana Nkusi

Pendant quatre ans, on lui a servi un seul repas par jour. Jamais, cependant, elle n’a été violentée. « Parce qu’elle est une femme », estime son avocat, qui rappelle les disparitions et assassinats d’opposants politiques rwandais, comme Patrick Karegeya, tué au début de l’année en Afrique du Sud.

Agnès Uwimana Nkusi n’en était d’ailleurs pas à son premier séjour derrière les barreaux : elle y avait passé l’année 2007 au complet pour des raisons semblables. « Je pourrais être réfugiée dans n’importe quel pays », lance-t-elle. Mais elle préfère rester au Rwanda et continuer à se battre pour la liberté d’expression. Quel qu’en soit le prix.

Le Rwanda, qui se veut un modèle de développement et de lutte contre la corruption en Afrique, traîne néanmoins au 162e rang sur 180 du classement mondial de la liberté de la presse 2014 de Reporters sans frontières.

HUTU ET TUTSI, UNE DISTINCTION COLONIALE

Avant d’avoir une connotation ethnique, les termes hutu et tutsi servaient à déterminer l’appartenance à une classe sociale. Un Tutsi était défini comme un éleveur, propriétaire de nombreuses têtes de bétail, tandis qu’un Hutu était un agriculteur, agissant sous l’autorité du premier. À l’arrivée des Européens en Afrique, Hutus et Tutsis parlaient déjà la même langue et cohabitaient. C’est l’administration coloniale belge qui a instauré, en 1933-1934, la carte d’identité et, avec elle, la mention ethnique. Elle a aussi favorisé les Tutsis, qu’elle estimait plus aptes à gérer le pays, ce qui a accentué le clivage entre les deux groupes. Cette distinction a été instrumentalisée dans les années qui ont précédé l’indépendance du Rwanda (1962) et a continué de déchirer le pays jusqu’au génocide de 1994.

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