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Bad féministe, une voix qui dérange

Le recueil d’essais de Roxane Gay arrive enfin en traduction française. Une voix puissante, qui dérange et qui rallie à la fois. Un regard intelligent sur la culture populaire et sur l’état du féminisme aujourd’hui. Un ouvrage qui nous rappelle qu’il n’y a pas « une » bonne façon d’être féministe. Entretien avec l’auteure de la préface, l’écrivaine et professeure Martine Delvaux.

Roxane Gay s’intéresse à la culture populaire

Dans son recueil d’essais écrits sur un ton très personnel, Roxane Gay réfléchit à voix haute sur le monde qui nous entoure : les sites de rencontre, les émissions de télévision, le show-business, le cinéma, etc. « Elle est la première à avoir investi le champ de la culture populaire, note Martine Delvaux. Elle l’a sorti des milieux universitaires pour en discuter sur la place publique et c’est la première qui a porté ce message aussi fort. Alors que tout le monde se demande si Beyoncé est “vraiment féministe”, Roxane Gay nous rappelle que les objets culturels ne peuvent pas répondre à toutes les exigences. On peut les consommer, y prendre plaisir, tout en demeurant critique. Bref, c’est compliqué et il faut l’accepter. »

Roxane Gay propose un féminisme inclusif

En affirmant qu’elle est une « mauvaise féministe », Roxane Gay fait un pied de nez aux diktats qui enferment les féministes dans une image contraignante, ces mêmes diktats qui imposent le mythe de la mère parfaite et de la femme parfaite. « Une “bad féministe”, c’est une féministe qui ne se conforme pas à un idéal, explique l’auteure de l’essai Les filles en série, Martine Delvaux. La “bad féministe” s’oppose à cette image de féministe de paille qui répond aux clichés de la “bonne” féministe, celle qui n’aime pas les comédies romantiques, ne se rase pas les jambes, ne se maquille pas, n’aime pas les hommes… Roxane Gay affirme qu’elle ne se reconnaît pas dans cette image rigide qui exclut les femmes et divise le mouvement féministe. Personne ne peut se sentir concerné avec une définition aussi exclusive. Elle refuse de porter sur ses épaules l’obligation d’être une féministe parfaite. Bref, elle s’assume comme “bad féministe”. »

Roxane Gay est devenue incontournable

Professeure d’anglais au Liberal Arts College de l’Université Purdue, dans l’Indiana, Roxane Gay est très active sur plusieurs plateformes. « Elle est très présente sur Twitter, qu’elle utilise comme véhicule pour faire circuler ses idées, note Martine Delvaux. Elle occupe le terrain, elle est inspirante, elle ne lâche pas, réplique à tout le monde tout en écrivant et en donnant des conférences. Je ne sais pas comment elle fait. Elle a également participé à l’écriture des bandes dessinées Black Panther avec Ta-Nehisi Coates. Enfin, Roxane Gay est une femme noire, fille d’immigrants haïtiens. Elle mesure plus de six pieds, est obèse et bisexuelle. Disons qu’elle incarne la diversité au sens large. Chez les jeunes femmes, elle est devenue une figure incontournable, une tête d’affiche du féminisme actuel. »

Roxane Gay a écrit un livre-culte

Publié en anglais en 2014, ce livre est arrivé à un bon moment, selon la professeure en littérature de l’UQAM. « Dans sa version anglaise, Bad Feminist est paru au moment où les mouvements féministes étaient en train de reprendre du poil de la bête, note Martine Delvaux. Le timing était excellent, un peu comme Toilettes pour femmes de Marilyn French ou Backlash de Susan Faludi. Il a été critiqué par plusieurs lors de sa sortie, mais il s’est imposé et est devenu une référence. » Rappelons que l’année de la sortie du livre le magazine Time a déclaré 2014 « l’année Roxane Gay ». Pourquoi le livre a-t-il mis autant de temps à se retrouver dans les librairies québécoises (il est paru le 22 mars en France) ? « Parce que la traduction française ne tenait pas la route, affirme Martine Delvaux. Le texte français comportait des erreurs, entre autres en ce qui concerne les différents niveaux scolaires américains. De plus, il n’était pas féminisé et on sentait même les préjugés du traducteur, un homme, qui faisait fi de la bisexualité de l’auteure. La réviseure Aimée Verret a fait un excellent travail pour rendre le texte le plus ouvert possible en termes de genre, pour tester une langue la plus neutre possible. »

Bad féministe

Roxane Gay

Préface de Martine Delvaux

Édito

352 pages

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