Droits de l’homme

La Suède rabroue l’Arabie saoudite

Dans un geste qui a fait grand bruit, la Suède a mis fin à sa coopération militaire avec l’Arabie saoudite, rabrouant au passage le royaume sur la question des droits de l’homme. La décision, sur laquelle plane l’ombre du blogueur Raif Badawi, est le deuxième accrochage diplomatique de la semaine entre Stockholm et Riyad. Résumé de l’affaire en quatre temps.

DISCOURS ANNULÉ

Le nouveau gouvernement de gauche en Suède ne passe par quatre chemins pour exprimer ses positions. Au début du mois, la ministre des Affaires étrangères Margot Wallström avait fustigé les « méthodes moyenâgeuses » de l’Arabie saoudite contre le blogueur Raif Badawi, condamné à 1000 coups de fouet pour insulte à l’islam.

La ministre a toutefois accusé le retour du balancier, lundi, en Égypte, quand elle a dû annuler sous la pression de Riyad son discours prévu lors d’une réunion de la Ligue arabe, parce qu’elle entendait parler de démocratie et du droit des femmes, a-t-elle affirmé.

Cette attitude diplomatique n’est pas nouvelle en Suède. Dans les années 70 et 80, Stockholm avait adopté une ligne dure contre l’Afrique du Sud de l’apartheid, l’Espagne de Franco et le Chili de Pinochet.

Le cabinet de la ministre Wallström a décliné nos demandes d’entrevue, cette semaine.

COOPÉRATION MILITAIRE TERMINÉE

La relation entre Stockholm et Riyad s’est envenimée un peu plus mardi soir quand la Suède a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas, au nom des droits de l’homme, l’accord de coopération militaire signé en 2005 avec l’Arabie saoudite et qui avait permis la vente de radars fabriqués par le suédois Saab.

Le geste n’est pas anodin, selon l’ancien ambassadeur du Canada en Ukraine Daniel Caron, aujourd’hui rattaché à l’institut québécois des hautes études internationales de l’Université Laval, qui affirme que « la coopération militaire est habituellement vue comme la coopération la plus importante ».

La Suède espère ainsi « influencer » l’Arabie saoudite afin d’améliorer la situation des droits de l’homme dans le royaume, estime-t-il. « À court terme, ça ne paraît pas, mais à moyen et à long terme, ça a un effet. »

« Oui, mais il faut qu’il y ait accumulation », rétorque Thomas Juneau, spécialiste des relations internationales à l’Université d’Ottawa, plus sceptique quant à l’influence de la communauté internationale sur l’Arabie saoudite. « Les pays occidentaux ne sont tout simplement pas prêts, à très peu d’exceptions, à accorder la primauté aux dimensions morales dans leur politique étrangère. »

AMBASSADEUR RAPPELÉ

Irritée par l’annonce de la Suède, l’Arabie saoudite a rappelé hier son ambassadeur à Stockholm, accusant au passage la ministre Wallström « d’ingérence flagrante » dans ses affaires intérieures.

« Rappeler un ambassadeur, c’est significatif, mais ce n’est pas non plus catastrophique », relativise Daniel Caron, qui ne s’attend pas à une escalade entre les deux pays.

D’autant plus que, pour faire « baisser la pression », le régime saoudien pourrait être tenté de « donner un petit bonbon aux Occidentaux », lance Thomas Juneau, qui croit que « c’est une question de semaines ou de mois » avant que le cas de Raif Badawi soit réglé.

« Une personne aura été sauvée, reconnaît Thomas Juneau, mais l’Arabie saoudite n’aura rien changé, à part ce cas-là. La pression n’aura eu aucun effet plus systémique. »

ET LE CANADA ?

Le Canada, dont l’Arabie saoudite est un des principaux acheteurs d’équipement militaire, pourrait-il emboîter le pas à la Suède ? Les experts consultés par La Presse en doutent.

La question est d’autant plus délicate que l’Arabie saoudite fait partie, comme le Canada, de la coalition militaire contre le groupe armé État islamique, souligne le lieutenant-colonel à la retraite et professeur à l’Université de Sherbrooke Rémi Landry. Le gouvernement canadien serait donc soucieux de ne pas froisser « un allié ».

D’ailleurs, une porte-parole du ministère canadien des Affaires étrangères, Diana Khaddaj, a indiqué dans un courriel à La Presse que « le royaume d’Arabie saoudite est un partenaire stratégique important pour le Canada ».

Mme Khaddaj rappelle que le système de contrôle des exportations du Canada « comporte des règles pour assurer que tout produit ou technologie exporté ne soit pas utilisé contre les civils ».

L’ambassade d’Arabie saoudite à Ottawa n’a pas donné suite à nos appels et courriels.

— Avec l’Agence France-Presse

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