Hockey Entrevue avec Mark Napier

Refaire sa vie après le hockey

Dans un monde idéal, Mark Napier n’« échapperait » aucun ancien joueur comme Todd Ewen, Wade Belak ou Rick Rypien, qui se sont tous suicidés.

« Notre plus grand défi, c’est d’être mis au courant de leur détresse », confie à La Presse le directeur de l’Association des anciens de la LNH.

« Ils sont fiers. Ils préfèrent garder ça pour eux. J’ai parlé récemment de la situation à Shayne [Corson] et à Chris Nilan. On ne peut pas faire grand-chose tant qu’on ne sait pas ce qu’ils vivent. Souvent, les amis proches ne sont pas au courant. Les joueurs le cachent tellement bien en public. Il arrive que ce soient les conjointes qui nous appellent. Alors nous pouvons intervenir. Nous avons pourtant de nombreuses ressources à leur disposition. Si un ancien veut nous téléphoner, juste pour parler, nous l’encourageons à le faire. »

L’Association des anciens de la LNH a été créée en 1999. Napier, ancien attaquant du Canadien, a accédé au poste de direction en 2004 après avoir cumulé divers emplois.

« La retraite n’a pas été facile pour moi non plus. Heureusement, j’occupe ce poste. J’ai quitté la Ligue nationale en 1989. J’ai joué en Italie pendant quatre ans. Je suis revenu et il m’a fallu du temps pour trouver quelque chose que j’aimais. »

« Je peux comprendre ce que vivent certains anciens. Le hockey a été tellement important dans nos vies. Certains n’aiment pas leur nouvel emploi, la ville où ils se trouvent, peu importe la raison. C’est un combat de trouver une nouvelle passion. »

— Mark Napier

Les choses avancent tranquillement pour les anciens. On verse désormais une pension aux joueurs de 65 ans et plus. Un ancien pourra toucher 1400 $ par saison jouée, une fois par année, quand il atteindra l’âge d’or, puisque la LNH et l’Association des joueurs ont accepté de hausser à trois millions chacun leur contribution. Un nouveau programme a aussi été mis sur pied pour permettre aux anciens d’intégrer plus facilement le milieu du travail « ordinaire ». Le fonds d’urgence, amassé grâce aux salaires perdus par les joueurs suspendus – Napier se plaît à lancer, mi-blagueur, qu’il souhaite des suspensions plus longues aux grandes vedettes –, sert à dépanner les anciens dans le besoin.

CRITIQUES

Mark Napier n’est toutefois pas à l’abri des critiques. Certains l’accusent de ne servir que les intérêts d’une clique torontoise. De ne pas être assez accessible. D’autres aimeraient recevoir plus d’argent pour se sortir de leur mauvaise passe.

« Nous avons 3400 membres et nous ne pouvons joindre tout le monde. Je suggère à tous les nouveaux retraités de communiquer avec nous. Ils verront qu’ils retrouveront une famille élargie. Dans un monde idéal, on aurait plus d’argent pour les anciens, compte tenu des salaires qui sont versés aujourd’hui. Mais je ne fais pas de reproches aux joueurs actuels. Si les propriétaires veulent leur en donner autant, tant mieux. Les carrières sont courtes, c’est un bon départ dans la vie. C’est leur argent et ils peuvent en faire ce qu’ils veulent. Ils nous aident déjà. Est-ce qu’on en voudrait plus ? Certainement, mais on ne se plaindra pas. »

Napier était de passage à Montréal jeudi pour lancer le Pro-Am de hockey pour l’alzheimer au profit de l’Hôpital général juif de Montréal, auquel il participait en compagnie de Chris Nilan, Guy Carbonneau, Gaston Gingras et plusieurs anciens joueurs.

Cette association remonte à des années. Triste ironie, le beau-père de Napier a été frappé par la maladie par la suite. « C’est devenu une cause très personnelle pour moi, alors que ça ne l’était pas au début. Il ne souffrait pas de démence, il y a huit ans. C’est un homme brillant qui vit aujourd’hui dans un foyer parce qu’il a besoin de soins constants. Ça a commencé par des pertes de mémoire. Puis il se perdait dans le quartier en faisant une marche alors qu’il habitait la même rue depuis 40 ans. Ça s’est détérioré. Il a 89 ans aujourd’hui et il reconnaît à peine ses enfants et ses petits-enfants. C’est tellement dur pour ses proches. »

UN MAL-AIMÉ

Mark Napier a joué pour le Canadien de 1978 à 1983. Il jouait dans l’ombre de Guy Lafleur et a eu le malheur d’être repêché six rangs devant un certain Mike Bossy en 1977. Les fans et les médias ne le lui ont jamais pardonné, même s’il n’y était pour rien. Malgré des saisons de 35, 40 et 45 buts, il est demeuré un mal-aimé à Montréal.

« J’ai toujours compris la situation et ça ne m’a pas dérangé. C’était surtout un truc pour les médias. C’était évident qu’il allait y avoir des comparaisons, puisque Mike était un gars de la place, un francophone. Il n’a jamais cessé de s’améliorer après le repêchage. Il était un bon junior, mais pas un grand junior. Personne ne lui aurait prédit une telle carrière, sans quoi il aurait été repêché au premier rang. Il a fait une grande carrière, mais des joueurs repêchés avant lui n’ont pas eu de grandes carrières. Quant à moi, j’étais le deuxième ailier droit derrière Guy Lafleur, une superstar qui avait le temps d’utilisation en conséquence. C’était normal et ça me convenait. Je jouais mon rôle. »

Trois ans plus tard, en 1980, le Canadien boudait un autre francophone, Denis Savard, au profit de Doug Wickenheiser, premier choix au total de la LNH. Wickenheiser, le cousin de la hockeyeuse Haley Wickenheiser, a été échangé à St. Louis après trois années en demi-teinte. En 1999, il a succombé à l’âge de 38 ans à peine à un cancer.

« On aurait peut-être dû le renvoyer dans les rangs juniors pour une saison de plus. J’ai joué un an avec Doug et Ryan Walter et j’ai aimé l’expérience. Doug était un bon passeur. Mais je pense que son temps de jeu limité a miné sa confiance en lui. Et Denis Savard, à Chicago, était une superstar. Les comparaisons l’ont sans doute dérangé. »

Napier a eu le temps de mettre la main sur une première Coupe Stanley en 1979, dès sa première saison, mais le Canadien a amorcé son déclin par la suite. « La perte de l’entraîneur Scotty Bowman a fait mal. Celle du gardien Ken Dryden aussi. Yvan Cournoyer a pris sa retraite. De plus, le départ de Jacques Lemaire a vraiment fait mal. C’était un grand centre en compagnie de Guy et de Steve Shutt. Il était nettement sous-estimé. Le noyau, dans l’ensemble, vieillissait, et de jeunes équipes comme les Islanders de New York et les Oilers d’Edmonton arrivaient affamées. »

Le 28 octobre 1983, Napier a été échangé aux North Stars du Minnesota avec Keith Acton contre Bobby Smith. 

« Le directeur général Serge Savard a fait la bonne chose. J’aurais agi exactement comme lui. Le Canadien avait besoin d’un gros centre, puisque ça ne fonctionnait pas avec Wickenheiser. Le Canadien a d’ailleurs gagné la Coupe en 1986 avec Smith. »

— Mark Napier

Napier a eu la chance d’être échangé aux Oilers d’Edmonton deux ans après son arrivée au Minnesota. Il avait 28 ans. « Au Minnesota, je ne croyais jamais voir la Coupe à nouveau. Puis je me suis retrouvé au sein des Oilers avec Gretzky, Messier, Kurri, Coffey, Anderson, Fuhr. J’ai joué avec Mark Messier et Glen Anderson à ma première année. La saison suivante, j’ai remplacé Jari Kurri pendant quatre matchs à la droite de Gretzky. J’ai obtenu huit points ! Lafleur avait le talent, la vitesse, le flair, des instincts incroyables. Wayne n’avait pas autant de vitesse, mais il était un passeur brillant, avec une vision périphérique extraordinaire. Il savait où tous les joueurs se trouvaient en tout temps sur la glace. »

Notre homme, aujourd’hui âgé de 58 ans, aurait sans doute obtenu un contrat de six ou sept millions par année pendant sept ans dans le hockey d’aujourd’hui. Il n’est pas amer. Il est riche de souvenirs et il occupe un boulot qui l’anime.

« J’ai fait de l’argent quand j’ai joué, beaucoup plus que mon père n’en a gagné. Je suis content pour les joueurs d’aujourd’hui. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.