grande entrevue

Deux dossiers chers à Brian Mulroney sont revenus à l’avant-scène de l’actualité : l’adhésion du Québec à la Constitution et le sort de l’ALENA. L’ancien premier ministre du Canada a accepté de faire part de ses impressions à notre journaliste.

CONSTITUTION

« Il faudra régler cela un jour »

Le reste du Canada ne pourra être allergique indéfiniment à l’idée de rouvrir la Constitution pour obtenir formellement l’adhésion du Québec à la loi fondamentale du pays, estime l’ancien premier ministre Brian Mulroney.

Si certains persistent à dire que le fruit n’est pas mûr et si d’autres soutiennent qu’un tel exercice pourrait être une source de distraction au moment où des enjeux plus pressants monopolisent l’attention, M. Mulroney tient à saluer la démarche du premier ministre du Québec Philippe Couillard visant à relancer le dialogue constitutionnel.

Dans une entrevue accordée à La Presse, M. Mulroney a affirmé avoir lu les grandes lignes du document de 200 pages préparé par M. Couillard. Selon lui, il s’agit d’un document « étoffé » qui représente bien les positions du Québec.

« J’ai trouvé cela très bien. C’est une approche modérée, raisonnable, et à un moment donné, qui sait ce qui va se passer ? », a lancé l’ancien premier ministre, qui a conclu deux accords durant son règne de neuf ans – l’accord du lac Meech en 1987 et l’accord de Charlottetown en 1992 – afin de permettre au Québec de réintégrer le giron constitutionnel.

Ces deux accords conclus au terme de négociations de haute haleine ont finalement échoué. L’accord du lac Meech est mort en juin 1990 quand deux provinces, Terre-Neuve et le Manitoba, ont refusé de l’entériner dans les délais prescrits, tandis que l’accord de Charlottetown a été rejeté par référendum.

« Pour un premier ministre du Québec, devant une Constitution canadienne qui ne porte pas la signature ou l’assentiment de l’Assemblée nationale, je trouve cela tout à fait normal. C’est sa responsabilité comme premier ministre du Québec de s’occuper de cela. »

— Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada

« Il y a une excuse qui se donne au Canada anglais avec l’intelligentsia que l’on connaît. “On a une Constitution parfaite, dit-on. Il ne faut pas toucher à cela.” Mais qu’est-ce qu’on fait avec les Québécois, qui seront bientôt 9 millions, qui ne se retrouvent pas là-dedans ? Alors je trouve que la position de M. Couillard n’est pas déraisonnable du tout. Son document est bien étoffé parce qu’on ne peut pas laisser le Québec en dehors de la Constitution indéfiniment. Il faudra régler cela un jour », a aussi dit M. Mulroney, assis confortablement dans son bureau au cabinet d’avocats Norton Rose Fulbright, à Montréal.

UN AVENIR DIFFICILE À PRÉVOIR

M. Mulroney a soutenu qu’il est difficile de prévoir l’avenir en politique – soulignant le succès fulgurant d’Emmanuel Macron en France, alors que les partis traditionnels républicains et socialistes s’effondrent, ou encore les résultats des élections au Royaume-Uni, où la première ministre Theresa May a vu fondre son avance dans les sondages le jour du vote, à tel point qu’elle a été incapable de remporter une majorité.

« On verra ce que cela va donner. Il n’y a rien qui est prévisible avec certitude aujourd’hui », a-t-il dit.

Il y a deux semaines, Philippe Couillard a causé une certaine surprise en disant vouloir reprendre le dialogue avec le gouvernement fédéral et les autres provinces afin de permettre au Québec de signer la Constitution. Il n’a toutefois pas établi d’échéancier pour y arriver. Mais le premier ministre Justin Trudeau s’est empressé de mettre le couvercle sur ce dossier, affirmant que cela pourrait être une source de distraction alors que des enjeux importants, comme l’économie et les relations canado-américaines, sont pressants.

M. Couillard a aussi dévoilé le document de réflexion, qui s’intitule Québécois, notre façon d’être Canadiens, dans lequel il affirme que le Québec doit occuper toutes les tribunes au pays pour reprendre le dialogue et faire accepter ses revendications traditionnelles, jusqu’à leur enchâssement dans la Constitution.

« UN RENDEZ-VOUS HISTORIQUE MANQUÉ »

Le gouvernement Couillard a d’ailleurs repris à son compte les revendications traditionnelles du Québec, notamment les cinq conditions fixées par l’ancien gouvernement de Robert Bourassa en 1986 qui avait mené à l’accord du lac Meech : la reconnaissance du Québec comme société distincte, l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser, la garantie d’une représentation québécoise à la Cour suprême, le droit de veto sur les modifications constitutionnelles et des pouvoirs accrus en matière d’immigration.

M. Mulroney, qui persiste à dire aujourd’hui que l’accord constitutionnel du lac Meech « a été un rendez-vous historique manqué », a indiqué que le premier ministre du Québec ne l’avait pas consulté avant de dévoiler le fruit de sa réflexion.

« Pour moi, l’échec du lac Meech a été comme un décès dans la famille, parce que je savais que c’était bien pour le Québec et pour le Canada et que cet accord avait été saboté sans aucune raison », a encore dit l’ancien premier ministre.

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