OPINION HASSAN SERRAJI

Le monde de demain

Au milieu des années 90, un débat a eu lieu au Maroc sur l’origine des joueurs de son équipe nationale de football.

La discussion opposait ceux qui sont pour sélectionner en premier les Marocains qui sont nés et qui évoluent au championnat local, à ceux qui sont ouverts à l’apport des Marocains qui sont nés et qui évoluent à l’étranger.

Cette dispute a refait surface cette année, malgré une prestation héroïque qui a ramené les Lions de l’Atlas sur le devant de la scène mondiale du football.

Je me suis alors replongé avec plaisir dans l’histoire de la participation des Marocains à cette compétition prestigieuse pour noter le point de bascule à ce sujet.

Ainsi, tous les joueurs délégués par le Maroc à ses trois premières participations au mondial de football, au Mexique, en 1970 et en 1986, ainsi qu’aux États-Unis, en 1994, sont nés au Maroc.

Il fallait attendre sa troisième participation pour trouver pour la première fois de l’histoire de la sélection marocaine de football des joueurs binationaux.

Sur les 22 joueurs sélectionnés de cette compétition de 1994, cinq sont nés au Maroc avant d’immigrer avec leur famille pendant leur enfance et devenir légalement binationaux en France, en Belgique ou en Allemagne.

Désormais, quatre ans plus tard, au Mondial de 1998 aux États-Unis, les 22 Marocains sélectionnés comptaient légalement quatre binationaux, dont deux sont nés à l’étranger. Les Lions de l’Atlas alignaient ainsi pour la première fois de leur histoire des joueurs nés hors du Maroc.

Vingt ans plus tard, à sa cinquième participation à une Coupe du monde de football, sur les 23 joueurs de la sélection marocaine, seulement six sont nés au Maroc, deux d’entre eux ont immigré à l’enfance, huit ont vu le jour en France, cinq aux Pays-Bas, deux en Espagne et un au Canada.

Désormais, les Lions de l’Atlas comptent légalement sur 20 binationaux. Le Maroc aligne même des joueurs à la triple nationalité, comme le défenseur Manuel da Costa né en France d’un père portugais et d’une mère franco-marocaine. Encore plus, six des joueurs marocains au Mondial russe ont porté le drapeau d’une sélection autre que marocaine dans les catégories des jeunes, avant de trancher pour celle du Maroc : quatre pour les Pays-Bas, deux pour la France et un pour la Belgique.

En une quarantaine d’années, l’équipe nationale marocaine de football est passée d’un groupe de joueurs nés au Maroc, qui ont été formés dans des clubs marocains et qui ont fait leurs classes au championnat national, à une sélection qui aligne une équipe constituée presque exclusivement de joueurs marocains nés à l’étranger, qui ont été formés et qui jouent dans des clubs d’ailleurs.

À l’œil nu, le même phénomène a rattrapé plusieurs pays de notre planète qui alimentent l’immigration internationale ou la reçoivent.

Pour mettre à l’épreuve mes notes, j’ai effectué une recherche pour tomber sur une mine : le 30e Rapport mensuel de l’Observatoire du football CIES, une référence, entre autres, en matière de démographie du marché du travail des footballeurs, régulièrement sollicitée dans le cadre de mandats par des institutions aussi prestigieuses que la Fédération internationale de football association (FIFA).

Parmi les conclusions de cette analyse, du profil des 32 équipes qualifiées pour la phase finale de la Coupe du monde 2018, sur les 1032 joueurs ayant participé aux matchs éliminatoires pour le compte de 31 équipes qualifiées et les 40 joueurs russes pris en compte, 98 sont nés à l’extérieur de l’association représentée (9,1 %). Le pourcentage maximal a été mesuré pour le Maroc (61,5 %). Sept pays ont au moins 10 % de leur effectif né à l’étranger.

Cette analyse rapporte aussi que seulement sept pays n’ont aligné aucun joueur né en dehors des frontières nationales : le Brésil, l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Allemagne, la Colombie, le Mexique et la Corée. 

Cependant, ce rapport du CIES n’a pas étudié l’origine ethnoculturelle des joueurs par sélection. À titre d’exemple, même si l’Allemagne aligne en Russie une sélection de joueurs nés sur son territoire, il n’en demeure pas moins que quatre parmi eux sont issus de parents d’origine tunisienne (Sami Khedira), turque (Mesut Özil et İlkay Gündoğan), ghanéenne (Jérôme Boateng) ou sierra-léonaise (Antonio Rüdiger).

Paradoxalement, autant notre planète se métisse, autant des forces réactionnaires se dressent sur le chemin de cette marche irréversible de l’histoire de l’humanité au lieu de l’accompagner en bonne intelligence. Hélas !

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