Chronique

Un mémo aux professeurs prédateurs

« Note à propos des relations entre enseignants et étudiants »

C’est le titre d’une lettre envoyée la semaine dernière aux enseignants du collège de Maisonneuve (voir encadré ci-dessous). Une note qui est en fait un mémo aux enseignants qui pourraient confondre relations pédagogiques et relations sexuelles. La direction y dit noir sur blanc ce qui devrait aller de soi : la séduction d’élèves par les membres du personnel n’est pas tolérée au cégep.

Cette note, qui survient après qu’une plainte d’une élève pour agression sexuelle a mené au congédiement d’un professeur du collège l’automne dernier, en appelle au jugement éthique des enseignants. Le directeur des études, Guy Gibeau, y rappelle que, de façon générale, le libre consentement n’est pas possible dans un rapport de pouvoir maître-élève. On y rappelle aussi le rôle de l’enseignant. Un rôle qui « se rapproche bien plus de celui d’un parent que de celui d’un ami ou d’un amant ». « La posture n’est pas pour autant dépourvue d’attachement et de bienveillance, et elle fournit un bon point de repère dans les situations ambiguës. »

« C’est très, très juste. Je ne sais pas qui a écrit cette lettre, mais il faut le féliciter ! », me dit Yvon Rivard, auteur de l’essai Aimer, enseigner (Boréal, 2012). Un essai, récompensé par le prix du Gouverneur général, où le professeur de littérature à la retraite célèbre le métier d’enseignant tout en s’attaquant à un sujet tabou : la « prédation sexuelle » pratiquée par des professeurs.

Lorsque Yvon Rivard a publié son livre, il y a d’abord eu un grand silence. De nombreux professeurs, tant à l’université qu’au cégep, n’ont pas aimé qu’il soulève cette question. En même temps, de nombreux témoignages d’étudiantes lui ont confirmé la nécessité d’en parler. Dans la foulée du mouvement #AgressionNonDénoncée, les questions qu’il soulève sont plus que jamais d’actualité.

L’an dernier, Yvon Rivard était l’un des professeurs signataires d’une lettre ouverte réclamant que les professeurs s’interdisent les relations sexuelles avec leurs étudiantes – le féminin l’emporte ici sur le masculin.

Si des professionnels comme les psychologues ou des médecins se dotent de codes d’éthique afin de protéger le lien de confiance avec leurs patients et éviter les abus de pouvoir, pourquoi en serait-il autrement pour les professeurs ?

Un an plus tard, où en sommes-nous ? « Mon impression générale est que tant dans les collèges qu’à l’université, il n’y a pas de véritable volonté d’action ni de l’administration ni des syndicats », dit Yvon Rivard. Il voit toutefois dans le cas du collège de Maisonneuve un exemple intéressant. « C’est quand même un pas immense qui est fait. Les administrateurs ont agi, ce qui ne s’est pas fait souvent, à ma connaissance. »

Une culture institutionnelle ne se change pas du jour au lendemain. Les privilèges et le statu quo sont difficiles à ébranler, souligne l’auteur. « C’est drôle parce que ça ressemble à ce qui se passe dans toutes les institutions, que ce soit l’Église, qui, pendant des années, a voulu étouffer la question de la pédophilie, que ce soit l’armée… Il y a des abus de pouvoir. Et même quand les professeurs le reconnaissent, ils sont très craintifs à aller de l’avant. »

Yvon Rivard ne mâche pas ses mots quand il parle de professeurs qui profitent de leur position pour séduire à répétition des étudiantes. Il les qualifie de professeurs « prédateurs ». « Je pense que c’est de la prédation. Dans mon livre, j’essaie de démontrer que ce n’est pas tellement une faute contre les mœurs qu’une destruction de la relation de confiance essentielle à la relation pédagogique. »

Qu’est-ce qui a incité le professeur à la retraite à s’intéresser à ce sujet ? Outre les confidences d’étudiantes montrant qu’il ne s’agit pas de cas isolés, Yvon Rivard invoque le fait qu’il a lui-même, au début de sa carrière, eu une relation amoureuse, qui a duré des années, avec une étudiante. « Même dans ce cas-là, où on dit : “C’est une histoire d’amour”, j’ai toujours perçu que cela avait été une faute. Parce que ce n’était pas le temps ni le lieu. »

Il y a quelque chose d’unique qui se passe dans une classe entre les professeurs et les élèves, dit-il. Il y a là un lien de confiance, semblable à celui qui doit exister dans un cabinet de thérapeute. Un lien qui doit être préservé.

« Quelqu’un te confie son désir d’aimer, d’être. Tu ne dois pas le trahir même si tu éprouves la même chose. » Le professeur est là pour relayer le désir, pas pour le reprendre à son profit.

Ce point de vue suscite de la résistance même chez des professeurs qui ne sont pourtant en rien des prédateurs. La question du libre consentement, en principe impossible dès qu’il y a un rapport du pouvoir, est au cœur du débat. « Il y a là comme une tache aveugle. Les professeurs à l’université ou au collège ne veulent pas reconnaître qu’il y a du pouvoir à l’intérieur d’une institution. C’est comme une sorte d’aveuglement volontaire. »

Or, le professeur a un pouvoir, c’est indéniable. Et avec le pouvoir vient le risque d’abus de pouvoir. « On ne saura jamais quel est le pourcentage de professeurs qui sont des prédateurs sexuels. Mais même s’il y en a peu, il faut quand même reconnaître que cette pratique existe, avec une loi du silence et la complicité de professeurs – même des professeurs qui sont contre cette pratique. C’est assez étrange. »

Yvon Rivard pense que ces « prédateurs professionnels », bien que peu nombreux, sont bien connus dans leur entourage. Et pourtant, le plus souvent, on ferme les yeux. « Pourquoi personne ne bouge ? C’est curieux. C’est comme s’il y avait une sorte de censure morale qui consiste à ne pas censurer. »

Passez le mémo.

Chronique

NOTE DU COLLÈGE DE MAISONNEUVE À PROPOS DES RELATIONS ENTRE ENSEIGNANTS ET ÉTUDIANTS(1)

Un regard plus attentif porté sur les diverses manifestations de l’abus de pouvoir ou de confiance a conduit de nombreux établissements d’enseignement supérieur en Amérique du Nord à interdire désormais les relations intimes entre enseignants et étudiants, quel que soit l’âge de ceux-ci ou le cycle des études poursuivies. La séduction d’étudiants par les membres du personnel n’est pas non plus tolérée au Collège de Maisonneuve. Mais en la matière, l’exercice d’un jugement éthique apparaît plus indiqué qu’une liste d’interdits.

En général, la relation maître-étudiant n’est pas suffisamment égalitaire pour assurer le libre consentement. Même une fois les cours terminés et les évaluations remises, l’ascendant gagné par l’enseignant sur ses étudiants, conjugué à l’inexpérience sentimentale des plus jeunes parmi eux, plaide pour le maintien d’une certaine prudence, le temps de démêler ces effets.

À cet égard, il serait utile de garder à l’esprit que le rôle d’éducateur se rapproche bien plus de celui d’un parent que de celui d’un ami ou d’un amant. La posture n’est pas pour autant dépourvue d’attachement ou de bienveillance, et elle fournit un bon point de repère dans les situations ambiguës.

Enfin, il n’est pas judicieux de tisser des liens d’amitié, même virtuels, avec les étudiants pendant leurs études au Collège. Qu’ils se développent ultérieurement ne regarde en principe que les intéressés, mais ils ne devraient pas être soumis à l’influence que peut conférer le rôle d’enseignant.

1. Dans ce texte, l’usage du masculin est privilégié uniquement par souci de concision.

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