« Aucune ado n’est à l’abri »
La forme de recrutement « la plus inquiétante en 2017 » et la plus répandue, selon Pascale Philibert, passe par les réseaux sociaux. Le proxénète n’a qu’à se créer un profil Facebook attrayant pour recevoir des dizaines de demandes d’amitiés d’adolescentes de 13-14 ans qui ne se doutent pas de ses intentions. « Les filles vont le contacter parce qu’elles le trouvent beau ; qu’elles ont des amis en commun ou qu’elles aiment sa musique. Elles vont échanger avec lui et dépendamment de l’intérêt et des besoins des filles, cela peut mener au recrutement », dit la conseillère du projet Mobilis, qui se consacre aux victimes d’exploitation sexuelle sur la Rive-Sud.
La plupart du temps, le proxénète ne prendra pas le risque de se présenter chez l’ado et de tomber sur ses parents, raconte Mme Philibert. Que la fille soit « à Granby, à Longueuil ou à Châteauguay », il va lui envoyer un « Uber » dont la course sera réglée grâce à une carte de crédit volée. La voiture l’amènera alors à un lieu de rendez-vous – une station de métro, un party privé, un hôtel où elle fera la rencontre de son « ami Facebook ». Les fugueuses de centres jeunesse sont des proies faciles, mais elles ne sont pas les seules à tomber dans les griffes des proxénètes.
Ayez des discussions franches avec vos adolescentes sur les relations égalitaires, recommande Mme Philibert. Le mot à proscrire, c’est « prostitution ». « Les jeunes qui sont en début de relation avec un chum-souteneur ne reconnaissent pas qu’elles sont exploitées sexuellement. Elles vont t’obstiner à la vie, à la mort que ce n’est pas ça qu’elles vivent. » Il faut leur demander si leur chum commet des crimes, s’il est contrôlant. La meilleure intervention, c’est de questionner l’ado, non de lui dire quoi faire.
Et n’attendez pas trop. « Dix-sept ans, c’est trop tard », avertit Mme Philibert. Abordez les sujets des relations égalitaires et de la criminalité avec l’enfant dès l’âge de 10 ans, suggère-t-elle. Il faut évidemment adapter les mots à l’âge de l’enfant. L’intervenante a vu de jeunes ados – garçons et filles – coincés dans des réseaux de fraudeurs liés aux gangs. Souvent, ils n’ont pas conscience qu’ils commettent un délit, aveuglés par « l’argent facile ».
« CHILL IN ET TURN UP »
Méfiez-vous si votre adolescente vous dit qu’elle s’en va dans un « chill in » ou un « turn up » – expressions utilisées par les jeunes pour désigner un party. « Je ne dis pas qu’il y a tout le temps des criminels derrière ces partys, mais il y a souvent des drogues et des contacts sexuels », note Mme Philibert. Est-ce que votre fille connaît le nom de l’organisateur ? De son « ami Facebook » qui l’y invite ? N’hésitez pas à la questionner.
Il ne suffit pas de lui interdire d’aller dans un party, car si l’ado trouve un moyen d’y aller quand même et que la fête tourne mal, elle ne saura pas comment s’en sortir. Il faut lui donner des outils, insiste Mme Philibert. C’est dangereux de confronter un gars de gang de rue. Il ne la laissera pas partir s’il soupçonne qu’elle le dénoncera. Vaut mieux se trouver une « excuse valable » pour quitter les lieux du genre : « mon père m’attend à la maison et il va s’inquiéter si je ne rentre pas bientôt ».
Si votre enfant a « huit profils Facebook avec des noms différents » pour vous cacher ses activités, illustre Mme Philibert, « allez chercher de l’aide ». S’il est porté à votre connaissance qu’une adolescente danse nue, fait des massages érotiques ou est escorte, vous avez l’obligation légale de le signaler à la police, rappelle-t-elle.
La CAQ « préoccupée »
« Il faut freiner le recrutement de nos filles. C’est une véritable hémorragie », a affirmé la députée de la CAQ Lise Lavallée, porte-parole en santé publique et en condition féminine, en réaction à notre reportage publié hier. La CAQ estime que le gouvernement libéral doit en faire davantage pour outiller les organismes communautaires et les policiers qui luttent contre l’exploitation sexuelle des jeunes filles.