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Que sont les manuscrits devenus ?

Les romans qui passent entre nos mains ne sont que des clones, chaque livre ayant son géniteur. Mais alors, qu’est-il advenu de ces manuscrits originaux signés de la main (ou du clavier) des auteurs québécois renommés ? Nous avons enquêté pour débusquer ces documents souches de notre littérature, qui peuvent aussi bien être méticuleusement entreposés… que ballottés aux enchères.

Où sont-ils, ces parents absents, dont certains semblent avoir définitivement disparu de la circulation ? C’est du côté des fonds d’archives de bibliothèques ou d’universités, auxquels de nombreux auteurs ou donateurs ont légué (ou vendu) de précieux manuscrits, que la pêche est la meilleure.

Ainsi, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) conserve l’ensemble des poèmes de L’homme rapaillé de Gaston Miron, diverses adaptations d’Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon, ou encore un tapuscrit d’Une saison dans la vie d’Emmanuel, de Marie-Claire Blais .

À Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada (BAC) peut se targuer de détenir des manuscrits désormais orphelins de Réjean Ducharme, dont celui de L’avalée des avalées, des écrits de Gilles Archambault (Les choses d’un jour) ainsi qu’une grande partie des œuvres de Michel Tremblay (Les cahiers de Céline, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou), données ou vendues entre 1987 et 2015.

Certains sont incomplets : seul le second tome dactylographié et annoté de Bonheur d’occasion est, à ce jour, accessible. Étrangement, il ne figure pas dans le fonds Gabrielle-Roy, mais dans celui de la Société des Éditions Pascal. « Jusqu’au début des années 60, Gabrielle Roy – qui se voulait aussi “légère” que possible – ne conservait que très peu de ses manuscrits. Ceux qui existent encore ne sont la plupart du temps que des dactylographies finales destinées à son éditeur », indique l’essayiste et universitaire François Ricard.

Quant aux universités, elles ne sont pas en reste : à l’UQAM, on trouvera les originaux de Trou de mémoire, Neige noire et L’invention de la mort de l’excentrique Hubert Aquin. L’Université de Sherbrooke, elle, recèle les manuscrits des Fous de Bassan et de Kamouraska d’Anne Hébert.

En règle générale, le grand public peut consulter sur place ces précieux documents. Attention toutefois à d’éventuels délais d’obtention et restrictions, surtout à la BAC – se renseigner au préalable.

Au plus offrant

« Mes manuscrits, j’ai toujours considéré que ce serait mon fonds de pension », clame Victor-Lévy Beaulieu. Et aux grands « mots » les grands remèdes : il a mis une douzaine de ses écrits aux enchères, dont le pavé originel de 666 – Friedrich Nietzsche. « Si je ne les vends pas au Québec, peut-être que j’irai voir de l’autre côté de la clôture, à la Bibliothèque nationale du Canada, songe-t-il. Michel Tremblay a obtenu 300 000 $ pour les siens. » La BAC a refusé de confirmer ou d’infirmer ce montant, invoquant la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Parfois, c’est carrément sur eBay que des documents ont pu émerger, comme cette version du Vaisseau d’or de Nelligan datant de 1912. Mise à prix : 50 000 $US. Le feuillet a finalement été classé document patrimonial en 2015 par le ministère de la Culture.

Dons, échanges et disparitions

Les pistes peuvent parfois se brouiller, car plusieurs versions d’un même manuscrit peuvent coexister. Dany Laferrière, qui réécrit ses romans, a ainsi multiplié sa progéniture. Pour l’anecdote, l’écrivain aurait même donné l’un de ses manuscrits… à une voisine, nous a-t-on indiqué aux éditions Mémoire d’encrier – qui n’ont pu préciser de quelle œuvre il s’agissait.

Les manuscrits s’échangent, aussi ! Le poète Gaétan Dostie, collectionneur et fondateur de la Médiathèque littéraire, détient Don Quichotte de la démanche, qu’il a troqué à « VLB » contre des livres anciens. Dans son impressionnant répertoire figurent également Nègres blancs d’Amérique (Pierre Vallières), tout comme de nombreuses anecdotes sur des documents volatilisés à jamais. « Certains manuscrits d’Alfred DesRochers ont été perdus dans une inondation, dans les années 50 », évoque- t-il. « Quant à l’œuvre de Jean-Aubert Loranger, elle a été mise aux poubelles par sa femme, quand elle a découvert qu’il avait une “autre sorte de vie” ! »

Manuscrits.doc

Si certains manuscrits disparaissent, d’autres n’ont jamais existé, du moins, matériellement. Car le temps de la plume et de la Remington étant révolu, les traces tangibles se raréfient. Preuve accablante : impossible de feuilleter un manuscrit de Nelly Arcan. « Isabelle Fortier [véritable nom de l’écrivaine] travaillait directement sur son ordinateur, il n’y a donc pas de manuscrits », révèle Me Marilène Bélanger, qui gère la succession de l’auteure. « Nelly ne m’a jamais transmis à proprement parler de manuscrit, au sens papier du terme. Tout a été fait par courriel, de la première à la dernière version », confirme Michel Vézina, qui a édité Paradis, clef en main.

La numérisation progressive de la littérature sonnera-t-elle aussi le glas du manuscrit ? Réponse dans cent ans.

Où sont-ils aujourd’hui ?

Agaguk, Yves Thériault : BAnQ

Le matou, Yves Beauchemin : BAnQ

Paradis, clef en main, Nelly Arcan : sur un disque dur de Michel Vézina

L’avalée des avalés, Réjean Ducharme : BAC

Un simple soldat, Marcel Dubé : BAnQ

Trou de mémoire, Hubert Aquin : UQAM

Un homme et son péché, Claude-Henri Grignon : BAnQ

L’homme rapaillé, Gaston Miron : BAnQ

Bonheur d’occasion, tome II seulement, Gabrielle Roy : BAC

Les fous de Bassan, Anne Hébert : Université de Sherbrooke

Une saison dans la vie d’Emmanuel, Marie-Claire Blais : BAnQ

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