Course à pied

La belle maladie de David Le Porho

« Enfin », a pensé David Le Porho le 6 décembre dernier. Le Montréalais venait de croiser le fil d’arrivée du marathon de Sacramento, en Californie. Après des années à y rêver, il y était finalement arrivé. Il avait couru un marathon sous la barre des 2 h 20.

Son temps de 2 h 19 min 37 s avait le goût sucré de la victoire longtemps désirée, mais aussi, un peu, l’amertume qui accompagne la fin de quelque chose. Il avait 38 ans, un emploi, un enfant. Il ne pensait pas pouvoir faire mieux. Il croyait qu’il était peut-être arrivé au bout de la route.

« Tout de suite après, j’ai complètement décroché. Je me disais que le marathon était peut-être un chapitre terminé de ma vie, raconte Le Porho. J’ai pris deux, trois mois de pause pour penser à la suite. »

Tout était dans la balance. Il se disait que les longues années à conjuguer son métier, sa vie de famille et les pénibles entraînements étaient peut-être terminées. Pour réussir à courir un marathon dans ces temps, proches du standard olympique, lorsqu’on est un vrai amateur, il faut faire pas mal de sacrifices.

Le Porho court entre 160 et 200 km par semaine pour maintenir son niveau. Il traîne en plus depuis des années une blessure au tendon d’Achille droit. Après Sacramento, il a boité pendant des jours. Il sait que dans un monde idéal, il arrêterait la course pendant un an pour se soigner. Mais ce n’est pas un monde idéal : Le Porho n’a plus 20 ans, s’il arrête, il ne reviendra jamais plus à son niveau.

Pendant tout l’hiver, Le Porho a ressassé tout ça dans sa tête. Puis son entraîneur, Dorys Langlois, lui a parlé d’un record à sa portée. La marque canadienne au marathon chez les maîtres, 2 h 19 min 41 s, tient depuis 1980 et appartient à un coureur ontarien. Le Porho aura 40 ans en juillet 2017. Tout ça l’a bien chicoté…

« Je me suis mis à y rêver. La performance, c’est une maladie, dit-il. J’ai pris du temps pour y penser. Et voilà, je suis reparti pour un tour. »

UN RECORD À SA PORTÉE

David Le Porho a un plan. Il va tenter de prendre le record canadien des maîtres au marathon de Berlin, en septembre 2017. Il aura alors 40 ans et des poussières.

Pour y arriver, il va devoir maintenir sa forme. Son record personnel à Sacramento est seulement quatre secondes plus rapide que le record des maîtres.

« Mais en parlant avec mon coach, il m’a démontré que j’aurais pu faire un peu plus vite en gérant mieux ma course. À Sacramento, on suivait un lapin qui courait pour le standard olympique américain de 2 h 18 min. Mais le lapin n’a pas gardé une vitesse stable, et au bout du compte, ça nous a tous ralentis un peu, je pense. »

Au printemps, Le Porho va renouer avec ses vieilles amours en sentier. Il vise ni plus ni moins un record de parcours au Bear Mountain 50, une course de 80 km en avril dans l’État de New York.

« La route et la trail, ce sont deux philosophies complètement différentes. Le marathon, c’est un peu comme la F1, tout est dans des petits ajustements très précis. La trail, c’est autre chose, c’est le plaisir technique d’être sur un sentier, c’est aussi s’assurer de ne pas exploser par manque d’énergie sur de longues distances. Ce sont deux manières très différentes de courir. »

Puis en octobre, il va renouer avec la route au marathon de Toronto. Il saura alors un peu mieux s’il a des chances de battre le record des maîtres à Berlin. S’il y parvient, cette fois-ci, ce sera vraiment la fin de sa carrière de coureur compétitif.

« Si j’arrive à faire mon record chez les maîtres en 2017, je pense que je n’aurai plus la force de continuer après ça. Le corps ne suivra peut-être plus non plus. Je pense prendre le temps de soigner ma blessure, dit-il. Puis je recommencerai à courir juste pour rester en forme, pour ne pas prendre de poids. Ça ne sert à rien de me faire mal pour ne pas battre mes records. »

Il se voit courir « relax », par exemple 20 km par jour pour aller et revenir du travail. Rien que ça. Tranquille. Et si tout va bien, il va s’en tenir à ça. Mais il sait mieux que quiconque que la compétition est une maladie dont on ne guérit jamais tout à fait.

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