Analyse

J’aurais voulu être un artiste

L’année 2016 vient de se terminer. Après avoir intégré l’Union des artistes comme membre stagiaire, je réalise notre biais fiscal envers les artisans du secteur culturel. Je ne dis pas que c’est bien ou mal, mais je découvre avec surprise certains avantages fiscaux de l’artiste (au sens large) qui tire son épingle du jeu.

Quand on met une mesure fiscale en place, elle doit avoir un objectif. La question demeure tout de même : celle-ci est-elle logique ? Chose certaine, au chapitre de l’impôt provincial, on a donné des avantages fiscaux significatifs aux artistes.

Le droit d’auteur

Ayant publié moi-même un essai sur les finances personnelles en 2016, je suis stupéfait. J’ai droit à une déduction fiscale pour droits d’auteur cette année. Même quand on touche un excellent salaire d’une autre nature, les revenus de droits d’auteur génèrent une imposition inférieure quand ils n’atteignent pas 60 000 $.

Droits d’auteur Déduction fiscale permise au Québec

5000 $ 5000 $

15 000 $ 15 000 $

30 000 $ 15 000 $

50 000 $ 5000 $

60 000 $ 0 $

Par exemple, disons qu’un contribuable gagne 100 000 $ par année. Le prochain dollar gagné génère normalement un impôt marginal de 45,71 %. Par contre, si ce même contribuable gagne 115 000 $, dont 15 000 $ sont considérés comme des revenus de droits d’auteur, il n’y aura aucun impôt provincial prélevé sur ces derniers. Est-ce que l’auteur aurait écrit l’ouvrage même sans l’existence de la déduction ? Sûrement. Si l’auteur n’avait aucun autre revenu que les 15 000 $ de droits d’auteur, il bénéficierait déjà du montant personnel de base. Alors, pourquoi l’aider fiscalement de cette façon ? Vais-je cracher sur cette déduction ? Non, elle existe. Par contre, l’auteur n’écrit pas ou l’acteur ne performe pas pour bénéficier de l’avantage fiscal.

Déduire ses vêtements

Dans un bulletin d’interprétation de Revenu Québec datant de janvier 2015, on précise qu’un artiste et travailleur autonome est considéré comme quelqu'un qui a une entreprise. Il peut ainsi déduire « 50 % du coût des vêtements acquis pour se produire en public si ceux-ci peuvent être utilisés à d’autres fins que le spectacle ». En somme, disons que votre animateur préféré se constitue une garde-robe intéressante pour se présenter devant son public, il peut en déduire la moitié, si les vêtements sont utiles dans la vie de tous les jours. En tant que comptable, on doit posséder une série d’habits pour le travail, mais jamais on ne permet ce genre de déduction. Deux poids, deux mesures, comme dirait l’autre.

Nivellement fiscal des revenus

Quand un artiste reconnu (toujours drôle de voir le terme « reconnu ») bénéficie d’une année importante de revenus, il peut s’acheter une rente et étaler ses revenus sur plusieurs années au provincial. En effet, la Loi sur les impôts (art. 346.0.1. et les suivants) permet à l’artiste d’étaler les revenus d’activités artistiques sur une période maximum de sept ans. Cette mesure existe pour permettre à l’artiste de compenser la volatilité de ceux-ci. Voilà un avantage dont plusieurs travailleurs autonomes d’autres domaines aimeraient sûrement bénéficier.

De véritables travailleurs autonomes ?

Autre point intéressant, disons que je suis travailleur autonome pour un seul client pendant 10 ans, le fisc finira par conclure qu’il y a un lien d’emploi entre mon client et moi et on exigera des charges sociales et on interdira les déductions. Pourtant, si un acteur joue seulement dans Virginie ou L’Auberge du chien noir pendant 10 ans, il sera reconnu comme travailleur autonome. Dans la réalité des faits, est-ce vraiment une différence en substance économique ?

Incorporation

Évidemment, l’incorporation n’est pas limitée aux artistes. La logique est toujours la même. L’artiste qui réussit à générer suffisamment de revenus pour laisser une somme importante dans la société devrait songer à l’incorporation. Cela lui permettra de reporter ses revenus sur une période intéressante. Si une année de vaches maigres survient, l’incorporation pourrait permettre à l’artiste de niveler ses revenus et d’optimiser sa facture fiscale autant sur le plan de l’impôt provincial que de l’impôt fédéral.

Alors, si un artiste en pleine effervescence lit ces lignes en n’ayant aucune idée de ce dont on discute, un appel à un comptable pourrait s’avérer salutaire. La planification fiscale, ce n’est pas juste pour Julie Snyder, Patrice L’Écuyer ou Normand Brathwaite. Le comptable, dans son bureau en haut d’une tour, d’où il voit la vie à l’envers, murmure parfois : « J’aurais voulu être un artiste. »

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